Le cargo sortit de l’hyperespace bien trop près de Bakura et partit en vrille. Ses unités de propulsion instables, il émettait des parasites – un bourdonnement d’insecte, aux oreilles de Jag Fel.

Il avait laborieusement mémorisé les fabricants et les modèles des vaisseaux impériaux et des navires de la Nouvelle République, mais il eut du mal à identifier celui-là. Son dessin asymétrique suggérait un modèle corellien, un YT 1300 ou un YT 2400.

Et le pilote se rapprochait dangereusement du Fierté de Sélonia.

— Vols B et C, restez vigilants, ordonna Jag. Cargo non identifié, vous empiétez sur notre espace ! Changez immédiatement de cap, ou nous prendrons les mesures qui s’imposent !

Des parasites lui répondirent.

Jag Fel s’éloigna du Sélonia à la rencontre du bâtiment inconnu. Son équipière le suivit, déployant les stabilisateurs de son aile X.

— Contrôle orbital de Bakura, demanda Fel sur une fréquence locale, a-t-on autorisé ce vaisseau à occuper notre orbite ?

— Négatif, Jumeaux Un. Ce vol n’est pas autorisé. Mais nous avons déjà vu ce vaisseau !

— Il est enregistré ?

— Oui. C’est le Cavalier Jaunty et il appartient à un Wookie, Rufarr. Je suis étonné de le revoir. Il avait filé en me devant des crédits !

Ce n’est pas un Wookie typique, alors, déduisit Jag.

— Je crois qu’il a d’autres soucis en tête pour le moment, dit-il. Je demande la permission de le faire dévier.

— Tant que vous n’êtes pas trop gentil avec lui, allez-y ! approuva le Contrôle.

— Faites le nécessaire, Jumeaux Un, renchérit la capitaine Mayn. Et assurez-vous qu’il passe loin de nous.

— Cavalier Jaunty, annonça Jag, vous avez dix secondes pour obéir à mes instructions, ou vous serez intercepté. Veuillez répondre.

Toujours rien sur les fréquences de communications…

— Bon, on y va !

Il accéléra pour aligner sa griffe sur le cargo.

— Vol B, venez plus près et ajoutez vos boucliers aux miens. Nous allons le pousser.

Deux autres ailes X se rapprochèrent. A eux quatre, ils firent changer de cap le cargo, mais il leur fallut mobiliser toute leur puissance disponible pour les moteurs et les boucliers.

Cinq degrés feront l’affaire, pensa Jag Fel.

Ça suffirait à écarter le cargo du Sélonia et de l’atmosphère de Bakura.

Il aperçut un éclair du coin de l’œil et les instruments de sa console montrèrent qu’un flux de neutrinos venait de heurter ses boucliers.

— Vous avez vu ça ?

— Affirmatif, Jumeaux Un, répondit le leader du vol B. Regardez ses unités de propulsion !

Jag tendit le cou vers la verrière de son cockpit. Les moteurs du cargo crachotaient, lâchant des émissions d’énergie erratiques.

— Je n’aime pas ça, marmonna-t-il. A tous les chasseurs : dégagez-vous immédiatement ! Puissance maximale aux boucliers arrière ! Ce vaisseau va…

Il y eut un éclair éblouissant derrière Jag, et sa griffe partit en vrille. Il s’accrocha aux accoudoirs de son siège de pilote, attendant que les étoiles réapparaissent dans sa verrière.

Jag vérifia l’état des autres chasseurs. Il découvrit avec soulagement que tous étaient indemnes. Du Cavalier Jaunty, il restait une partie du châssis avant… L’explosion des moteurs l’avait quasiment désintégré.

— Contrôle orbital de Bakura, dit Jag, dites adieu à vos crédits…

— Peut-être pas, Jumeaux Un, répondit la capitaine Mayn. Quelque chose a jailli du Cavalier Jaunty juste avant l’explosion. Probablement une nacelle de sauvetage.

— Une nacelle ? Vous êtes sûre ? Je n’ai rien vu.

— Certaine, insista Mayn, j’étais de l’autre côté du vaisseau. C’est sans doute pour ça que ça vous a échappé.

— La nacelle se dirigeait vers Bakura ? A-t-elle des moteurs de poussée ?

— Oui, mais ils ne suffiront pas. L’entrée dans l’atmosphère sera trop brutale. Vous voulez la récupérer, ou nous la laissons au Contrôle ?

— Impossible, répondit le Contrôle orbital sur la fréquence générale. Nous n’arriverions pas à temps. Désolé, Jumeaux Deux, mais ce sera vous ou personne !

— Compris, fit Jag.

Restait à espérer qu’il n’y aurait pas de mauvaise surprise.

Il fonça, dépassant le nuage de débris. Un instant plus tard, la nacelle apparut sur ses écrans. Sa vitesse augmentait rapidement, mais elle n’était pas de taille à battre à la course une griffe en pleine accélération…

Jag Fel ralentit en la rattrapant. A première vue, il n’y avait rien de suspect. Une balise d’urgence clignotait.

Jag ignorait de quels systèmes de communications une nacelle de sauvetage était dotée, mais ça ne devait pas aller bien loin. Il balaya les fréquences subspatiales pour trouver la fréquence du survivant, s’il en existait une.

Il capta enfin un appel frénétique.

— … urgent ! Qu’on me réponde, je vous en prie ! Je suis…

— Ici le colonel Jag Fel, à la nacelle… (il déchiffra un numéro d’identification)… un-un-deux-V. Vous m’entendez ?

— Oui ! Que l’Equilibre soit remercié ! Vous m’avez trouvé ! Je commençais à croire que je m’étais échappé pour rien !

Jag se rapprocha de la nacelle. Cette voix n’était pas celle du capitaine wookie.

— Qu’est-il arrivé ?

— La propulsion a lâché en plein saut hyperspatial et j’ignorais comment la réparer. Le navi-ordinateur a rendu l’âme quand les moteurs ont brûlé. J’ai eu de la chance que ce tas de ferraille arrive jusque-là !

— Y a-t-il d’autres survivants avec vous ?

— Non, seulement moi. L’équipage est mort. Et il peut aller au diable, en ce qui me concerne ! Tous des assassins !

Jag hésita.

— Vous les avez tués ?

— En état de légitime défense… Dites, vous êtes là pour me sauver ou pour discutailler ?

— J’essaie de savoir qui je vais sauver, souligna Jag.

… Et quel genre de monstre vous êtes…

— Vous voulez savoir qui je suis ? Le Premier ministre Cundertol ! Et je vous ordonne de me tirer de là immédiatement. Après tout ce que j’ai subi, je ne laisserai pas un pilote novice rater mon sauvetage ! Passez-moi le Contrôle orbital tout de suite, ou je vous jure que je vous ferai confisquer votre licence de vol si vite que…

— Je vous prie de m’excuser, Premier ministre, coupa Jag. Je vous récupère de ce pas.

Il actionna ses pinces magnétiques, freinant la chute de la nacelle plus brutalement que nécessaire. Le rugissement des moteurs de poussée l’empêcha de communiquer avec son passager involontaire. Le Premier ministre dut supporter la descente en silence. Il avait probablement de bonnes raisons d’être mécontent, d’après ce qu’il avait laissé entendre par les mots « fuite » et « assassins », mais Jag était quand même furieux.

Pilote novice ! Et quoi encore ?

 

— … Sept : quatre humains, deux Rodiens, et leur misérable capitaine wookie. J’ai résisté, bien entendu, mais ils m’ont pris par surprise. Ils m’ont emmené du Complexe du Sénat bakurien au spatioport. Personne n’a posé de questions à des marchands qui transportaient une caisse d’archives. Et personne n’a scanné la caisse pour voir si le contenu correspondait aux déclarations. Des têtes tomberont pour ça !

Le Premier ministre Cundertol, un grand type carré aux cheveux blonds clairsemés et à la peau rose, était assez bien conservé pour son âge. Devant l’infirmerie du Sélonia, Jag et la capitaine Mayn étaient assis avec lui sur un banc.

Aussi grande que Cundertol, Mayn faisait la moitié de son poids. Elle le dévisageait intensément.

— Continuez, dit Jag. Qu’est-il arrivé ensuite ?

— Ils m’ont amené dans leur vaisseau puis ils m’ont assommé ! cria Cundertol. Voilà ! Quand j’ai repris connaissance, nous étions dans l’hyperespace, et j’étais emprisonné dans une soute. Je les entendais parler. J’ai vite compris que je n’étais pas un otage, comme je l’avais d’abord cru. Ils devaient m’emmener quelque part, m’interroger et se débarrasser de moi. Par chance, ils ne m’avaient pas bien ligoté, et j’ai réussi à me détacher.

— Ont-ils dit pour le compte de qui ils travaillaient ?

— Pas clairement. Ils parlaient de « la patronne », ou d’« elle » tout court.

— Alors, vous serez ravi d’apprendre l’arrestation, hier, de Malinza Thanas, accusée de « conspiration contre la paix ». Vos avocats ajouteront sans doute la tentative de meurtre aux charges qui pèsent sur elle.

— Malinza ? répéta Cundertol, sidéré. Accusée ? Je n’y crois pas !

— C’est pourtant vrai. Votre adjoint, Harris, l’a annoncé personnellement.

Le Premier ministre en resta sans voix.

— Vous vous êtes donc libéré, reprit Jag. Et ensuite ?

— Ah, mon évasion… Un de mes ravisseurs est venu voir ce que je faisais. Après l’avoir assommé et saucissonné, j’ai pris son blaster, et me suis glissé vers l’avant du vaisseau pour affronter les autres. Il y en avait trois dans la cabine principale… Je les ai fourrés dans un coin tandis que deux autres arrivaient. Cinq contre un, ça n’était pas terrible, même pour quelqu’un qui s’est entraîné avec les Troupes Spéciales de Bakura ! J’ai exigé qu’on me ramène, mais ils ne pouvaient rien faire tant que le cargo était dans l’hyperespace. Ils essayaient de gagner du temps, c’est clair ! Que pouvais-je tenter ? Si j’en avais descendu un pour leur montrer que je ne plaisantais pas, j’aurais été aussi pourri qu’eux…

« Bref, après quelques minutes, le Wookie a voulu me sauter dessus, et j’ai dû tirer. C’était tuer ou être tué. Je n’avais pas le choix. Je les ai abattus.

Le Premier ministre regarda ses mains, comme s’il ne les reconnaissait plus.

— Vous avez fait ce que vous deviez, dit Jag. Personne ne vous blâmera pour ça.

— Je ne les ai pas tous tués… Seulement les cinq qui m’ont attaqué. Celui que j’avais attaché était vivant, ainsi que le pilote. Je l’ai ligoté dans la soute, quand il a refusé de m’obéir. Puis j’ai inversé le cap. Hélas, ce maudit tas de ferraille est tombé en miettes ! Quand j’ai dû partir, je me suis aperçu que les systèmes environnementaux de la soute étaient en panne. Les deux types que j’y avais laissés avaient rendu l’âme… Sinon, je les aurais emmenés avec moi pour qu’ils soient jugés. Ils s’en sont bien tirés, en fin de compte. La mort était trop douce pour eux !

A l’entrée de l’infirmerie, l’officier médical en chef écoutait le récit. Quand le Premier ministre eut terminé, elle prit la parole :

— Etes-vous sûr de ne pas être blessé, monsieur ? Je devrais vous examiner pour…

— Je vais bien ! Il faut plus qu’une échauffourée pour m’abattre.

L’officier médical haussa les épaules.

— Avez-vous trouvé quelque chose dans l’épave ? demanda Cundertol à Mayn.

— Rien, monsieur. Il restait peu de choses du vaisseau.

— Dommage, dit-il. J’aurais aimé que le responsable paye ! Si mon enlèvement a découragé le Keeramak, ou si la consécration est annulée, j’ignore ce qui se passera. Nous ne pouvons pas nous permettre d’avoir des rapports tendus avec les P’w’ecks, alors que les Yuuzhan Vong approchent. Notre flotte est déjà insuffisante. Si nous nous faisons de nouveaux ennemis…

— Savez-vous où les ravisseurs vous emmenaient ? demanda Jag. Avec cet indice, nous pourrions…

— Désolé, jeune homme. A ce moment, j’avais des préoccupations plus graves : rester en vie, par exemple. Je n’avais pas le temps de les interroger tranquillement, comme vous maintenant !

Jag rougit de colère.

— Monsieur, je n’avais pas l’intention de…

Cundertol lui coupa la parole.

— Quand cette navette arrivera-t-elle ?

— Bientôt, Premier ministre, répondit Mayn, aimable. Le général Panib envoie une escorte pour éviter d’autres agressions contre vous. En attendant, c’est ici que vous serez le plus en sécurité.

— Oui… Bref, je suis content d’être en vie !

Quelque chose, dans la voix de Cundertol, fit comprendre à Jag que pour la première fois, le Premier ministre disait toute la vérité.

 

Escorté par Jaina, le Faucon Millenium avait quitté l’orbite une heure à peine avant l’apparition du Cavalier Jaunty, se dirigeant vers la planète pour une rencontre officielle avec le Sénat. La nouvelle du sauvetage de Cundertol leur parvint quand ils atterrirent sur le spatioport de Salis D’aar.

Tahiri regarda Jaina débarquer de son aile X, derrière Yan et Leia.

La princesse fronça les sourcils.

— Vous dites qu’il a vaincu un équipage de sept personnes ? Ce n’est pas le sénateur Cundertol dont je me souviens !

— Je suis sceptique, aussi, dit Jag, en orbite. Mais je suppose que ce n’est pas impossible. Il est bien entraîné, et l’élément de surprise jouait en sa faveur. Mais il n’a pas la moindre égratignure !

— Vous en êtes sûr ?

— Je l’ai écouté raconter sa version, et il n’y avait pas une marque sur lui. Je n’ai jamais vu quelqu’un se tirer d’une rixe sans une lèvre éclatée ou une articulation égratignée.

— C’est vrai, dit Yan. Rien de plus précis ?

— Non. Il a refusé tout examen.

— L’officier médical en chef de Todra est une Duras, non ? Si je me souviens bien, Cundertol est définitivement pro-humain…

— Exact, confirma Leia. Il voulait peut-être seulement éviter un contact avec un non-humain.

— Et il signerait une alliance avec les P’w’ecks ?

— Il signerait une alliance avec un arachnor s’il le jugeait politiquement utile, répondit Leia.

— Cela ne veut peut-être rien dire, reprit Jag après un petit silence, mais Cundertol était aussi étonné que vous d’apprendre l’arrestation de Malinza Thanas.

— D’apprendre son identité, ou son inculpation ?

— Sans certitude, je crois que c’était d’apprendre son inculpation.

— Harris semblait persuadé de sa culpabilité.

— Mes soupçons ne sont peut-être pas fondés, ajouta Jag. Mais je suis sûr d’une chose : Cundertol n’est pas le genre d’homme que j’aimerais avoir pour ami. Il vient de partir avec son escorte. Ravi de vous confirmer qu’il sera bientôt tout à vous !

Jaina fit un signe – tout allait bien –, puis elle revint vers le Faucon.

— D’accord, dit Yan en éteignant un à un les systèmes du vaisseau. Autre chose à ajouter ?

— Non.

— Tout est en ordre, pour le moment ?

— L’épave a été tractée, et notre couloir orbital est dégagé.

— Parfait. Appelez-nous si autre chose se produit. On nous attend.

Yan coupa le comlink et se tourna vers son épouse, qui secouait la tête.

— Qu’y a-t-il ?

— Je trouve amusant qu’un intuitif comme toi ait le front d’en critiquer un autre.

Yan prit l’air indigné.

— Eh, j’ai écouté ce qu’il avait à dire ! Mais il ne nous a rien apporté de solide et d’irréfutable, c’est tout.

— Est-ce la seule raison ? insista Leia. Ou serais-tu irrité à l’idée que Jaina ait un petit ami aux instincts aussi aiguisés que les tiens ?

Yan sursauta. Si elle n’avait pas été consciente d’écouter une conversation privée, ça aurait pu amuser Tahiri.

— Je vous laisse en tête-à-tête, dit-elle en quittant son siège.

En sortant du cockpit, elle entendit les époux Solo recommencer à parler. Comme d’habitude, leur querelle n’était pas sérieuse. Sous les piques, Tahiri discernait toujours l’affection qui les unissait.

Hors du vaisseau, l’air était chargé d’humidité et de pollen. On était au milieu de la matinée, et la température augmentait. Tahiri commença à transpirer en moins d’une minute. Elle fit appel à sa formation de Jedi pour réguler sa température.

Quelques minutes après, Yan et Leia sortirent du Faucon.

— Au moins, il a bon goût, lança Yan en quittant la rampe du cargo.

Tahiri n’entendit pas la réponse de Leia, car Jaina arriva à ce moment pour saluer ses parents.

Ils échangèrent quelques mots à voix basse. Tahiri supposa que ça concernait la situation présente, telle que Jaina la voyait.

Tahiri décida de ne pas s’immiscer dans la conversation. Elle examina le hangar d’atterrissage qui leur avait été affecté. Il contenait uniquement le Faucon et l’aile X de Jaina, comme la princesse l’avait demandé, et comportait une seule sortie, à l’autre bout. Par la porte en transpacier, Tahiri vit un groupe de dignitaires et de gardes. La vue de leurs uniformes d’un vert terne la mit mal à l’aise. Une de ses trois cicatrices, sur la tempe, commença à la démanger. Honteuse de son attitude, elle dut se faire violence pour cesser de se gratter.

Ces incidents l’inquiétaient, lui rappelant de mauvais souvenirs.

Elle se détourna et vit alors un technicien approcher furtivement du Faucon Millenium, un long câble à la main. Sa combinaison protectrice dissimulait son sexe et son espèce.

Consciente que Yan avait interdit toute maintenance du Faucon tant qu’il était à quai, elle voulut intercepter le technicien.

— Eh ! Vous n’avez rien à faire ici.

L’inconnu hésita, puis bifurqua vers Tahiri. Elle serra la poignée de son sabre laser.

— Restez où vous êtes !

— J’apporte un message.

La voix était distordue comme si un casque de commando la filtrait.

— Pour qui ?

— Yan Solo. Je dois lui recommander la prudence. Les apparences sont trompeuses, par ici !

— C’est souvent le cas, par les temps qui courent, répondit Tahiri.

La combinaison de maintenance cachait trop bien l’émissaire, mais son instinct ne trompa pas la jeune femme.

— Vous êtes un Ryn, n’est-ce pas ?

— Comment avez-vous… ?

— J’ai rencontré un des vôtres sur Galantos. Il nous a suggéré de venir ici en disant que…

— Plus tard ! coupa le Ryn en jetant des regards nerveux à la ronde. Je vous recontacterai. Pour le moment, je vous en prie, transmettez mon message au capitaine Solo.

— D’accord. Mais ce n’est rien de bien nouveau. Il est toujours prudent, et il a déjà compris qu’il se passait des trucs louches dans le coin.

— Je dois filer. On vous a affecté des quartiers, si vous décidez de rester plus d’un jour. Vous y trouverez ce qu’il vous faut.

Il se détourna et partit.

Tahiri s’avouait de plus en plus intriguée par les Ryn et leurs avertissements sibyllins.

— Des problèmes ? lança Yan derrière la jeune femme.

Elle sursauta, puis secoua la tête.

— Il vaudrait mieux qu’il n’y en ait pas ! (Solo regarda filer le pseudo-technicien.) Qu’a-t-il dit ?

Tahiri baissa la voix.

— C’était notre contact. Le Ryn… Il vous recommande la prudence en déclarant que les apparences sont trompeuses.

Yan leva les yeux au ciel.

— N’en va-t-il pas toujours ainsi ?

Tahiri eut un sourire nerveux.

— C’est ce que je lui ai répondu.

— Autre chose ?

Elle lui répéta ce que le Ryn avait ajouté à propos des quartiers qu’on leur réservait.

— D’accord… Allons-y.

Un bras passé autour des épaules de Tahiri, Yan la ramena vers le groupe.

Jaina jeta un coup d’œil à la jeune femme, sans rien dire. Mais Tahiri avait un mauvais pressentiment… Comme un arrière-goût de déjà-vu…

 

Le blanc cru du soleil jurait avec la froideur polaire du cœur de Csilla. Un scan orbital du monde glaciaire révéla des dizaines de glaciers, autour de l’équateur, et de vastes banquises à l’échelle planétaire.

A côté du climat de cette planète, celui de Hoth paraissait presque modéré.

Pourtant, elle était habitée. D’immenses cités couvraient les étendues polaires. D’autres habitations s’enfonçaient sous la glace et dans la couche rocheuse, cherchant la chaleur géothermique loin sous la surface.

— Glacial, commenta Jacen, admiratif devant les essaims de griffes qui flanquaient l’Ombre de Jade à son arrivée en orbite.

Il n’existait pas, jusque-là, d’images de la planète natale des Chiss. Lors de la dernière expédition de Luke et de Mara dans l’espace chiss, des années plus tôt, ils n’avaient jamais atteint le cœur de l’empire.

— Tu parles de la planète, ou de l’accueil qu’on nous réserve ? demanda Danni.

Jacen sourit.

— On pourrait croire, avec tous les mondes disponibles des Régions Inconnues, qu’ils en auraient choisi un plus hospitalier… Pourquoi vivre ici, alors qu’il existe à proximité des planètes au climat bien plus agréable ?

— Pure obstination, déduisit Mara, occupant le siège de pilotage. Vous avez vu comment Jag et ses pilotes fonctionnent. Multipliez ça par dix, et vous aurez quelqu’un dont le caractère ressemble à celui du Chiss moyen. L’obstination normale d’un Chiss ferait paraître un Hutt accommodant !

Une voix sèche informa la délégation de l’orbite qui lui avait été affectée.

— Vous ne dévierez pas de ce vecteur, sauf contre-ordre.

— Compris, répondit Mara, irritée. Mais y a-t-il quelqu’un qui…

— Irolia sera votre contact. Elle vous répondra sur cette fréquence, et s’occupera des demandes ou des questions que vous pourriez formuler.

La ligne fut coupée.

— On dirait que notre amie Irolia est arrivée avant nous…, dit Mara.

— Au moins, ce sera une voix familière, fit Jacen.

— Demande déjà à lui parler, suggéra Luke. Sollicite l’autorisation d’envoyer une équipe au sol.

— Tu es sûr que c’est une bonne idée ?

— Quoi ? Atterrir, ou poser la question ? lança Luke avec un petit sourire. Ecoute, Mara, si nous ne pouvons pas traiter avec les Chiss maintenant, alors que l’Empire nous soutient, nous ne le pourrons jamais !

Mara obtempéra. Jacen écouta la conversation, aussi brève que prévisible. Irolia donna un vecteur à Mara et téléchargea un couloir d’entrée dans les banques de navigation de R2-D2. Le petit droïd bipa pour signaler qu’il avait reçu les données.

— Aurez-vous besoin de la navette ? demanda Yage sur la fréquence de commandement.

— Je crois que nous prendrons l’Ombre de Jade pour cette mission, répondit Luke. Dites à Hegerty de se préparer et de…

— Soron Hegerty ne sera pas du voyage, coupa Yage. L’affaire de Munlali Mafir était trop pour elle. Elle a décidé de rester à bord, si ça ne vous pose pas de problème.

Jacen s’aperçut que son oncle était déçu. Depuis le début du voyage, le lieutenant Stalgis et Hegerty avaient assisté Luke à plusieurs reprises. Le Jedi en était heureux, car cela scellait la collaboration entre l’Empire et l’Alliance Galactique. En décidant de ne pas participer à cette mission, Hegerty ferait naître des rumeurs parmi les cyniques qui ne croyaient pas à la validité de cette alliance.

— D’accord. Pouvez-vous nous préparer une équipe de débarquement ? La fenêtre de descente est dans une heure. Nous devrons faire vite.

— Ils testent notre courage, dit Yage. Mais nous en remontrerons à cette princesse de pacotille !

Luke sourit.

— Je crois qu’Irolia s’est fait une solide ennemie !

— Ça n’était pas trop difficile, dit Mara. Irolia n’essaie pas de se rendre sympathique !

Une idée frappa soudain Jacen.

— Vous croyez qu’on nous l’a envoyée exprès ?

— Pour voir comment nous réagirons ? fit Luke. Possible… Un supérieur d’Irolia peut être en train de nous tester.

— Ne t’en fais pas, dit Mara. Arien a raison. Nous sommes prêts à affronter les Chiss.

— Je n’en doute pas, conclut Jacen. Mais ce ne sont pas les Chiss qui m’inquiètent…

 

L’Ombre de Jade descendit vers le bras ouest d’un continent en forme de croissant. Un examen radar de la surface révéla de la roche, à deux kilomètres de profondeur. Le poids de la glace et les canaux creusés par les fontes et les gels avaient créé un réseau complexe de tunnels et de cavernes, où les Chiss avaient bâti la cité d’Ac’siel.

Tout ce qu’on en voyait, au-dessus de la glace, était un triangle équilatéral : les trois spatioports reliés par des tours, des antennes d’observation et des batteries d’artillerie.

Ou peut-être, pensa Jacen, des trucs destinés à intimider les étrangers…

Le vent hurlait comme un wampa en chaleur, secouant la coque de l’Ombre de Jade, quand Mara se posa sur le spatioport indiqué.

Jacen attendait dans le terminal des passagers, avec l’équipe de débarquement.

Danni le suivit dans le sas.

— Prête, annonça-t-elle.

Ils sortirent ensemble du vaisseau.

Jacen pensait émerger sous une tempête de glace, mais il n’en fut rien. Il faisait même assez doux. Ils s’étaient posés dans un grand hangar d’atterrissage, isolé des éléments par la bulle chatoyante d’un champ de force. La plate-forme de ferrobéton où ils se tenaient était sèche et propre. En contrebas, un comité d’accueil les attendait : sept officiers vêtus d’uniformes noir et pourpre. Sous la lumière électrique, leur peau bleue ressemblait à du marbre… Jacen ne vit pas Irolia.

Il salua de la main, sans soulever de réaction.

— Rien d’alarmant, annonça-t-il sur le comlink, à l’attention de Luke et de Mara.

Ils les rejoignirent peu après. Luke sortit le premier, suivi par le lieutenant Stalgis et Mara. Un deuxième commando resterait à bord de l’Ombre de Jade, avec Tekli et Saba.

Le sas se referma sur eux.

Ils attendirent.

— Je pensais que les Chiss seraient plus ponctuels, dit Luke.

Il fit un clin d’œil à Mara.

Les officiers s’écartèrent pour laisser passer deux personnes : Irolia, l’air pincé, et un humain râblé de la taille de Luke. Chauve, il avait une bouche mince, des yeux profondément enfoncés dans leurs orbites et un grand nez.

— Je suis le chef navigateur Peita Aabe, dit-il d’une voix coupante. Nous avons fait le nécessaire pour que vous rencontriez les autorités appropriées.

— N’aimeriez-vous pas savoir qui nous sommes ? demanda Luke.

Guère ravi de la situation, Aabe toisa le maître Jedi, l’air peu amène.

— Ce n’est pas nécessaire. Irolia nous a transmis toutes les informations adéquates. Si vous voulez bien me suivre…

— Un instant, l’interrompit Mara. J’aimerais en savoir plus sur vous. Vous êtes humain.

Il se tourna vers elle, l’air exaspéré.

— Et ça vous gêne ?

— Non, bien entendu. Mais à part l’amiral Parck et Soontir Fel, j’ignorais que d’autres humains s’étaient joints aux Chiss.

— Beaucoup le souhaitaient, mais peu ont été acceptés, répondit fièrement Aabe. Je sers l’administrateur assistant Fel en son absence. Mes origines importent peu.

L’administrateur assistant Fel ? pensa Jacen.

Le baron Fel avait dû recevoir une promotion…

— Une troupe de joyeux drilles, tu ne trouves pas ? marmonna Danni en suivant leur guide.

— Ils sont ce qu’ils sont, mais je préfère avoir affaire à eux qu’aux Krizlaws ! répondit Jacen.

Quand ils quittèrent le hangar d’atterrissage, les sept gardes leur emboîtèrent le pas.

— Où allons-nous ? demanda Mara.

— Je vous l’ai dit, grogna Aabe.

— Vous avez dit que vous nous emmeniez voir les « autorités ». Vous n’avez pas précisé qui elles étaient, ni où elles se trouvaient.

— Est-ce vraiment important ?

Mara leva les yeux au ciel.

— A vous de me le dire !

Irolia répondit à la première question.

— On vous emmène voir les représentants des Quatre Familles et de la Flotte Chiss pour débattre du rôle que les Chiss joueront dans votre mission.

— Vous travaillez pour la famille Nuruodo, comprit Mara. Les affaires étrangères et militaires, exact ?

Irolia ne répondit pas. Inutile. Malgré l’amour du secret des Chiss, la structure de leur gouvernement était connue. Quatre familles dominaient la scène publique : Nuruodo, Csapla, Inrokini et Sabosen. Les Csapla supervisaient la distribution des ressources, l’agriculture et les affaires coloniales. L’industrie, les sciences et les communications étaient le domaine des Inrokini. Les Sabosen se chargeaient de la justice, de la santé et de l’éducation dans les colonies.

— Pour quelle famille travaillez-vous, chef navigateur ? demanda Jacen.

— Aucune, répondit sèchement l’homme. Je suis employé par la Flotte Chiss. Elle a toujours besoin de gens expérimentés connaissant les régions qui se situent hors des territoires habités.

— Les incursions des Ssi-ruuk et des Yuuzhan Vong, ainsi que notre expérience avec Thrawn, nous ont appris que l’insularité pouvait être une faiblesse, renchérit Irolia. Etre fort ne suffit pas. Pour survivre, une culture doit aussi s’adapter. Nous devons donc connaître nos voisins le mieux possible.

— La plupart des gouvernements auraient plutôt créé des liens diplomatiques, observa Mara. Ou ils auraient envoyé des espions.

— Nous avons utilisé ces méthodes. Dans une certaine mesure, nous les utilisons toujours. Nous avons accepté de vous parler, non ? Mais parfois, l’intégration est le meilleur moyen de parvenir à nos fins. Votre ancien Empereur avait accepté Thrawn, malgré ses origines non-humaines, parce que c’était un brillant stratège. A notre tour, nous sommes préparés à accueillir des non-Chiss en notre sein.

— Et un Ssi-ruu ? Ou un Yuuzhan Vong ?

Irolia regarda Luke sans se démonter.

— S’ils étaient exceptionnellement doués et fiables, pourquoi pas ?

Jacen fut perturbé par cette réponse – ses compagnons aussi, il le sentit. C’était facile à comprendre. Le chagrin restait vif dans le cœur de tous. Le lieutenant Stalgis avait perdu beaucoup de commandos et d’amis sur Bastion. Au début de la guerre, Danni avait vu ses collègues mourir sur Belkadan – sans parler de tout ce qu’elle avait subi ensuite. Mara avait failli perdre son bébé, Ben, sur Coruscant, et après la disparition d’Anakin, Jacen éprouvait toujours un grand vide…

Luke cachait bien ses émotions. Au fond, qu’en pensait-il ? A un moment ou à un autre de sa vie, il fallait faire abstraction du passé et se tourner vers l’espérance… A ce prix seulement, on retrouvait la paix de l’esprit…

Rendus muets par la franchise d’Irolia, ils continuèrent leur chemin. La curiosité de Jacen fut vite piquée par l’étrange qualité translucide des murs. On aurait dit de la glace, mais au touché, c’était sec et tiède. A chaque mètre, un cadre métallique enchâssé définissait les couloirs éclairés par une lumière verte qui s’allumait à leur approche et s’éteignait derrière eux.

A quoi servaient ces cadres ? Les Chiss ne semblaient pas du genre à apprécier la seule valeur décorative des objets…

Danni suivit son regard.

— Des générateurs de champ, murmura-t-elle.

Jacen fronça les sourcils, intrigué. Des générateurs de champ ? Pourquoi aurait-on besoin de tels dispositifs dans ces couloirs ? La dépense d’énergie semblait disproportionnée par rapport aux maigres avantages…

Soudain, le jeune Jedi comprit : les murs étaient de glace ! Et les générateurs de champ produisaient une « frontière » entre l’air chauffé du couloir et la couche de glace… Ils empêchaient la fonte, gardant l’air froid à distance. Les générateurs s’allumaient à l’approche des Chiss, passant le reste du temps en service réduit. Un dispositif qui réduisait la dépense d’énergie, plus économique que de forer des tunnels et de les chauffer – sans compter le coût exorbitant de l’isolation de telles structures.

Une solution élégante à un problème complexe, surtout pour des lieux de passage.

Jacen fut impressionné.

Ils arrivèrent dans une zone isolée, entourée de matériaux plus conventionnels. Dans une grande salle envahie par la végétation et très haute de plafond – au moins vingt mètres –, un long néon illuminait les lieux.

Jacen eut l’impression d’entrer dans un parc résidentiel. Un parc vide…

En fait, hormis leur escorte, ils n’avaient pas rencontré âme qui vive depuis leur arrivée à Ac’siel.

Jacen n’eut pas le temps de réfléchir à cette bizarrerie. Le chef navigateur Aabe leur fit traverser la salle pour accéder à une pièce circulaire relativement petite. Des chaises noires entouraient une table ronde. Les murs, le plafond et le sol étaient également noirs, et de petits globes flottants éclairaient la table.

Au fond, on distinguait une autre porte…

Aabe prit le siège le plus proche et fit signe aux autres de l’imiter. Ils s’installèrent en demi-cercle, face à lui. Stalgis resta près de la porte avec Irolia…

La porte du fond s’ouvrit sans bruit et quatre personnes entrèrent. Leurs capuchons dissimulaient les traits de leur visage, et chacune de leurs longues robes était d’une couleur différente : bronze, rouille, gris argent et vert foncé.

Ils s’assirent sans un mot, de chaque côté d’Aabe.

— Saurons-nous à qui nous parlons ? lança Mara.

— Non, répondit l’inconnue vêtue de bronze – une femme à la voix de contralto. Nos familles sont définies par leur rôle dans notre société, et nous les représentons. Nous sommes les simples rouages d’un processus de décision.

— Pas de noms ? demanda Mara, exaspérée.

— Pas de noms, confirma l’inconnu en vert.

— Mais vous savez qui nous sommes.

— C’est vous qui venez nous demander de l’aide, répondit Bronze. Vous n’avez pas à savoir qui agit au nom des Chiss. Nous représentons tout le monde.

— Alors, que voulez-vous ? lança Rouille.

— Après vous avoir entendu, ajouta Gris, nous vous donnerons notre décision.

— Et nous ne nous prononçons pas à la légère, ajouta Vert.

— Notre décision sera irréversible, conclut Bronze. Etes-vous d’accord avec nos conditions ?

— Et si nous ne le sommes pas ? demanda Mara.

— Nous vous demanderons de partir, répondit Aabe.

— Notre requête est simple, dit Luke. Nous cherchons Zonama Sekot, la planète vivante. Nous avons des raisons de penser qu’elle se cache dans ce que nous appelons les Régions Inconnues. Vous êtes la puissance principale de ces régions. J’espère que vous accepterez de nous aider, en nous accordant un droit de passage, ou en nous donnant accès à vos informations sur la question.

— C’est tout ? fit Gris.

— Oui. C’est tout.

— Qu’avez-vous obtenu jusque-là ? demanda Bronze.

Luke expliqua où ils étaient allés, et les différentes civilisations qu’ils avaient abordées ou rencontrées. Les informations recueillies sur Zonama Sekot restaient des légendes ou des souvenirs lointains… Pas de renseignements précis. Il n’existait pas d’enregistrements du passage de la planète.

On eût dit un fantôme.

— Pourtant, vous semblez confiant dans le succès de votre quête, observa Vert.

— Nous n’aurions pas entrepris cette mission si nous la jugions irréalisable, répondit Luke. Nous sommes déterminés.

— Et pourquoi, exactement ? demanda Rouille. Irolia n’a pas su nous expliquer ce point. Elle vous estime dignes de confiance, mais vos buts sont bizarres et vos motivations obscures. Vous ne pouvez pas nous reprocher d’être prudents.

Luke soupira.

— En effet. A votre place, je me méfierais aussi. Mais nous sommes prêts à tout pour vous démontrer notre bonne foi.

— Sauf renoncer à votre quête, avança Gris.

— Sauf ça, oui. Nous continuerons à chercher Zonama Sekot, avec ou sans votre aide.

Il y eut un silence. Jacen sentit que les représentants des Chiss conféraient mentalement, mais il ne put rien détecter.

— Et votre nouvelle Alliance ? demanda Bronze. Nous demande-t-on de nous y joindre ?

— Non, répondit Luke. Même si ce serait à notre avantage mutuel, considérant les ennemis que nous avons en commun…

— Effectivement, admit Rouille.

— La question de votre présence dans notre territoire nous divise, dit Vert.

— Deux d’entre nous sont d’accord pour vous laisser libre accès aux territoires chiss, continua Gris, car vous n’y trouverez rien que nous ne connaissions déjà, ou qui puisse nous nuire.

— Si Zonama Sekot existait dans notre territoire, ajouta Bronze, nous le saurions.

— Cela étant, l’aspect nébuleux de vos motivations amène à douter des vraies raisons de votre mission. On pourrait légitimement supposer que la recherche de Zonama Sekot dissimule un but plus sinistre.

— Même si nous n’avons pas détecté d’intentions hostiles de votre part, renchérit Rouille, votre arrogance – venir ici sans y être invités ! – ne devrait pas être encouragée.

— C’est l’impasse, conclut Bronze.

— Ça nous arrive parfois, reconnut Gris, attendu la diversité de nos besoins.

— Dans de tels cas, nous nous tournons vers la Flotte pour le vote décisif. (Rouille pivota vers sa gauche.) Chef navigateur Aabe ?

Jacen gémit intérieurement. Aabe ne voterait jamais pour eux !

L’ancien Impérial jeta un coup d’œil dédaigneux à Luke et ses compagnons.

— Le cas me semble clair. Nous ne pouvons permettre à des intrus de voyager sans surveillance dans nos territoires. En ma qualité de responsable de la Sécurité, je conseille de ne pas autoriser cette expédition à se déplacer librement dans l’espace chiss.

Luke et Mara parurent sur le point de protester.

Aabe leva une main.

— Toutefois, je suis raisonnablement certain que les intentions des Skywalker sont honorables. Il n’est pas dans la nature des Chiss de repousser ceux qui ont des besoins réels. Dans l’intérêt des bonnes relations entre nos peuples, j’aimerais suggérer un compromis. Les Skywalker ont plus besoin d’informations que d’un libre accès. Aucune mission ne saurait explorer la totalité des Régions Inconnues en un laps de temps raisonnable. Je propose donc que les Skywalker et leurs alliés aient accès à la Bibliothèque de la Flotte, à Csilla, pour leur permettre de continuer leurs recherches en toute sécurité.

Luke leva un sourcil, étonné. La suggestion d’Aabe n’était pas idiote ! Mais restait à savoir ce qu’il entendait par « sécurité ». Etait-ce vis-à-vis des équipages de l’Ombre de Jade et du Faiseur de Veuves, ou des Chiss eux-mêmes ?

Jacen fut aussi stupéfait que son oncle par la suggestion de l’ancien Impérial.

— Il existe une condition, ajouta Aabe.

Nous y voilà, pensa Jacen.

— Je ne voudrais pas que l’Alliance Galactique se méprenne sur nos intentions. Cette offre est limitée dans le temps. Si les Skywalker et leurs compagnons ne trouvent pas ce qu’ils cherchent dans le délai imparti, il leur sera demandé de quitter immédiatement l’espace chiss.

— Combien de temps faudrait-il leur accorder ? demanda Vert.

— Deux journées devraient suffire, répondit Aabe. Notre bibliothèque est bien fournie. Retrouver trace de cette légende ne devrait pas être difficile.

— Nous considérons que cette proposition est acceptable, dit Bronze. Maître Skywalker ?

Luke se redressa.

— J’accepte votre offre.

Jacen sentit que Mara n’était pas d’accord, mais elle ne dit rien.

— Vous êtes libre de commencer quand vous le souhaitez.

Les quatre représentants se levèrent.

— Un membre de la famille Inrokini vous sera affecté pour vous apprendre à utiliser la bibliothèque, ajouta Gris. Si vous êtes prêts, le chef navigateur Aabe et Irolia vous guideront.

— Merci, répondit Luke, en s’inclinant.

— La réunion est terminée, conclut Rouille.

Elle se leva, imitée par ses compagnons. Ils quittèrent la salle.

— C’est tout ? demanda Mara.

— Que voulez-vous de plus ? fit Aabe. Nous avons été généreux en vous consacrant du temps, et nous continuerons à l’être avec nos ressources. Nous n’y sommes pas obligés. Vous devriez être… J’allais dire « reconnaissants », mais ce serait incorrect. La gratitude est une émotion qui ne se commande pas, et ne dépend pas forcément de ce qu’on offre. « Honorés » traduirait mieux ce que je veux dire.

— Nous le sommes, assura Luke. Et nous avons hâte de nous mettre au travail.

— Heureux de voir que l’un de vous, au moins, apprécie l’attitude des Chiss…

Irolia et Aabe conduisirent Luke et ses compagnons hors de la salle. Dehors, un homme de grande taille sortit d’une alcôve et les intercepta. Il portait un bandeau noir sur l’œil. Sa barbe et ses cheveux également noirs étaient striés de gris.

— Mara Jade, dit-il, nous nous retrouvons…

— Je suis maintenant Mara Jade Skywalker, Soontir Fel. Le chef navigateur Aabe nous a dit que vous étiez « absent ».

— Ce n’est pas le cas.

— Vous vouliez seulement nous éviter ?

— Eviter le processus de prise de décision, oui.

Fel avait une voix rauque très puissante. Jacen comprit de qui Jagged Fel tenait sa prestance.

— Mes pensées ne sont pas exemptes d’émotions sur cette question. Je me souviens vous avoir proposé une alliance il y a quelque temps.

— L’ironie de la chose ne m’a pas échappé, répondit Mara.

— Vous l’avez refusée à l’époque, et maintenant vous nous proposez la vôtre… (L’homme, autrefois le meilleur pilote de l’Empire, haussa légèrement les épaules.) C’est la façon de faire des Chiss : laisser les autres trancher quand on ne peut pas être impartial. Je m’en remettais à Peita pour voir ce que j’étais incapable de discerner.

Fel avait un regard glacial. Jacen ne comprit pas les raisons de son hostilité. D’accord, Mara était une ancienne ennemie, mais… ça n’expliquait pas tout.

Luke se campa à côté de sa femme.

— Je crois que nous avons atteint une conclusion satisfaisante, dit-il en tendant la main. Dans d’autres circonstances, vous rencontrer serait peut-être un plaisir, Soontir.

Fel hésita, puis lui serra la main.

— Nous ne sommes pas encore alliés, Skywalker.

— Mais nous ne sommes plus ennemis. Ça compte !

Mara consulta ostensiblement son chrono.

— Nous devrions y aller. Ces deux jours ne dureront pas éternellement !

— Exact, dit Fel. La Bibliothèque de la Flotte est à une bonne distance d’ici. Plutôt que d’y amener votre vaisseau, je me permets de vous proposer un moyen de transport. Les ressources dont je dispose sont encore plus sûres que celles des Chiss.

Luke hésita. Jacen le sentit s’entretenir mentalement avec Mara. Il partageait ses réserves… La décision d’Aabe avait surpris Jacen. Ce pouvait être une ruse visant à les éloigner du vaisseau… Et Mara n’aimerait pas ça.

Mais oseraient-ils déplaire à Fel en déclinant sa proposition ? De plus, deux jours passeraient vite…

— Merci, répondit Luke. Votre offre nous fera gagner du temps.

— Mais si vous tentez quoi que ce soit, Soontir…, ajouta Mara.

Fel faillit sourire.

— Croyez-moi, si je l’avais voulu, je l’aurais fait depuis longtemps. Mais ne restons pas là à bavarder comme des imbéciles. Allons-y. Le délai ne changera pas.

— Vous vous en assurerez, n’est-ce pas ? demanda Mara.

— Comptez là-dessus, Mara Jade Skywalker, conclut Fel en lui jetant un regard glacial.

 

Quand ils revinrent dans leurs quartiers, après le premier jour sur Bakura, Jaina était épuisée. La réunion avec le Sénat avait été remise, pour que le Premier ministre Cundertol puisse y assister. Ce jour arrivant enfin, la délégation de l’Alliance Galactique passa inaperçue à cause de l’apparition triomphale de Cundertol et du banquet qui suivit. Son long discours fut accueilli par les vivats du Sénat. Jaina, elle, en retira l’impression que le Premier ministre de Bakura était un peu trop obsédé par ses propres intérêts pour faire un bon chef d’Etat.

Le banquet avait été agréable. Des serviteurs attentifs, et pas des droïds, circulaient parmi les convives. Jaina s’était sentie déplacée avec son uniforme de pilote. Dans la farandole de mets, tous délicieux, elle avait pu goûter le fameux nectar Namana. Mais elle s’était limitée à une ou deux gorgées, de peur que ses réflexes soient émoussés. Et à en juger par l’ébriété de ses voisins de table, elle avait eu raison.

Deux autres personnes étaient restées sobres : Cundertol et Harris, son adjoint. Elle eut le sentiment qu’il y avait entre eux une grande tension. S’ils se détestaient, Jaina ne voyait pas pourquoi. Etaient-ils rivaux, ou avaient-ils des personnalités trop affirmées ?

Intriguée, elle se demanda comment Harris avait réagi en apprenant l’enlèvement de Cundertol. Il avait dû se sentir soulagé d’être débarrassé de lui. Si le Premier ministre disparaissait, son adjoint lui succédait tout naturellement. On pouvait donc légitimement se demander si Harris était impliqué dans l’enlèvement… Et si l’arrestation de Malinza Thanas était destinée à donner le change.

Mais Jaina ne pouvait pas justifier ses impressions nébuleuses, ni celles de Jag. La présence de Cundertol dans la Force était forte et claire. Il ne mentait pas sur son identité, et ses pensées étaient bien les siennes.

Même Lwothin, le chef des P’w’ecks, semblait satisfait du retour de Cundertol. Voire soulagé. La consécration de Bakura aurait lieu le lendemain. Il n’y avait plus de raison pour que le Keeramak retarde sa venue.

Le saurien n’avait pas consommé les mets locaux. Il s’était contenté de viande de fit : un lézard aux multiples pattes spécialement importé de Lwhekk pour l’occasion. Au cours du banquet, Lwothin avait observé ses voisins de table. Jaina avait plusieurs fois rencontré son regard – indéchiffrable.

— Quelqu’un d’autre a le sentiment que nous étions un peu en dehors du coup ? demanda Yan en s’installant sur un canapé flottant.

Leurs quartiers étaient moins richement meublés que ceux de Galantos, mais ça convenait à Jaina. Trop de luxe la rendait nerveuse.

— Leurs affaires les obnubilent, répondit Leia. Ils reviendront vers nous dès qu’ils auront une bonne raison.

Comme d’habitude, elle prenait le contre-pied de ce que son mari disait. Non qu’elle voulût se montrer contrariante… Elle tenait seulement à envisager une situation donnée sous tous ses angles. Jaina avait eu du mal à comprendre comment fonctionnait l’esprit de sa mère, alors que son jumeau avait saisi depuis le début.

— Il faudrait peut-être le leur rappeler, dit Jaina, qui installait l’équipement anti-espionnage utilisé sur Galantos. Un simple traité ne réglera pas leurs problèmes. Cette transmission illégale semble indiquer que les agents infiltrés sont haut placés. Ecrouer Malinza Thanas ne changera rien à l’affaire. Ça aggravera peut-être même la situation.

Du coin de l’œil, Jaina vit Tahiri faire nerveusement les cent pas dans la suite. A moins qu’elle cherche quelque chose… ?

— Tout dépend de ce qu’ils veulent, répondit Leia. Une faction semble favorable à une alliance avec les P’w’ecks plutôt qu’avec nous, et l’autre ne veut rien entendre sur les P’w’ecks. Si notre présence permet de révéler les dissensions, dans la résistance, tant mieux ! Au lieu d’un assaut concentré contre le gouvernement local, ils s’en tiendront peut-être à des tentatives isolées et sans efficacité réelle.

— Les balles perdues font aussi des victimes, rappela Yan, qui jouait avec les doigts de sa femme. Pour ma part, j’aimerais mieux être visé par un tireur que par une dizaine de velléitaires mitraillant au jugé…

Son attention fut soudain attirée par le comportement bizarre de Tahiri. Elle inspectait le dessous d’un cabinet à liqueurs.

— Tahiri ? fit Leia. Que fais-tu ?

— Ah ah… Le voilà !

La jeune Jedi se redressa, un objet à la main.

— Voilà… quoi ? demanda Jaina.

Tahiri approcha et leur montra sa trouvaille : une minuscule capsule métallique.

— Le Ryn a dit que nous trouverions ce qu’il nous faut dans nos quartiers. C’est forcément ça.

— Le Ryn ? répéta Leia.

Yan lui exposa ce qu’il avait appris de la bouche de Tahiri.

— A-t-il dit autre chose ? demanda Leia.

— Seulement que vous deviez être prudents. Et qu’il nous recontacterait plus tard.

Elle tripota la capsule. Il y eut un soudain éclair de lumière.

Rien d’autre ne se produisit.

— Ça ne va pas… Notre ami aurait pu s’assurer que ce truc marchait, avant de nous le laisser…

— Excusez-moi, maîtresse Leia, dit C3PO, mais…

Yan leva la main.

— Attends, Bâton d’Or ! Nous cherchons à comprendre comment marche ce bidule.

— Mais, monsieur, je sais comment il fonctionne.

Tous les regards se tournèrent vers lui.

— Alors ? fit Yan. Explique !

— L’éclair lumineux contenait un message écrit compressé. Mes photorécepteurs l’ont récupéré et stocké dans mes banques mémorielles.

— Un message ? fit Tahiri. Que disait-il ?

— Il est rédigé dans un obscur code givin.

— Peux-tu le traduire ?

— Bien entendu, répondit le droïd. « Malinza Thanas possède des informations dont vous aurez besoin. Elle est détenue dans la cellule douze-dix-sept de la prison de Salis D’aar. A minuit, aujourd’hui, vous entrerez par la porte arrière numéro vingt-trois. Le mot de code est “Habitant de la Frange”. J’essaierai de vous recontacter demain. »

— C’est tout ? demanda Jaina.

— J’en ai peur, maîtresse Jaina.

— Ça n’est pas grand-chose…, dit Tahiri.

— C’est mieux que rien, trancha Leia. J’irai voir ce que Malinza a à dire.

— Non, protesta Jaina. Laisse-moi y aller. Les Bakuriens risquent de t’appeler pour parler de la situation avec les P’w’ecks. Si tu envoies papa ou moi à ta place, ils se demanderont pourquoi.

— C’est vrai, mais Malinza t’écoutera-t-elle ?

— J’utiliserai mon célèbre charme, répondit Jaina. De plus, c’est peut-être sa dernière chance d’être écoutée…

— D’accord, conclut Leia. Mais sois prudente.

Jaina sourit, puis alla dans sa chambre se préparer.

 

— Arrêtez !

L’image d’un garde apparut sur le villip volé. Nom Anor regarda la Honteuse qui portait le villip – caché dans un vase k’snell mort et évidé – obéir sans hésiter à l’ordre du guerrier… comme tout membre de sa caste égaré dans l’antichambre des quartiers du seigneur Shimrra.

Le garde avança en ricanant.

— Dans ta hâte de rejoindre Yun-Shuno, tu as oublié que nul n’entre ici sans la permission du seigneur suprême en personne. Explique-moi pourquoi ta vile présence souille ce sol !

— Je suis envoyé par le grand prêtre Jakan…, balbutia l’espionne de Nom Anor. Il m’a ordonné de lui apporter cette offrande…

Elle s’était entraînée à répéter cette excuse avant de partir en mission, mais elle n’avait jamais paru aussi peu convaincante.

— Mensonges ! cria le guerrier en déroulant son bâton amphi. Dis-moi ce que tu fais ici. Ensuite, tu sentiras la colère d’un garde du palais du seigneur Shimrra !

Le guerrier avança encore. La Honteuse tomba à ses pieds en serrant le vase k’snell contre sa poitrine.

— Je vous en prie…

Nom Anor imaginait sans peine sa terreur.

— Tes supplications offensent tous les Yuuzhan Vong ! rugit le guerrier en levant son bâton. Prépare-toi à mourir !

— Jeedai ! hurla la Honteuse.

Comme prévu, elle activa le commutateur situé à la base du k’snell avec la paume de sa main.

— Ganner !

L’image mourut avec le villip et la Honteuse, quand le bâton vong s’abattit sur eux. La dernière chose que vit Nom Anor fut le visage haineux du guerrier.

— Elle n’était pas censée parler des Jedi, dit-il en utilisant la prononciation des infidèles.

Il en avait pris l’habitude pendant ses années d’espionnage sous couverture.

Une vague de colère déferla en lui. Ils avaient été si près !

— At’raoth était dévouée à la cause, dit Shoon-mi.

Près du trône de Nom Anor, l’ancien Honteux semblait mal à l’aise après cette tentative ratée d’infiltrer les quartiers de Shimrra.

— Elle s’est portée volontaire. Elle savait à quels risques elle s’exposait.

— Reste à savoir si elle vraiment morte, dit Kunra. L’a-t-on capturée pour la torturer ? Apprendra-t-on notre existence ?

— Non ! assura Shoon-mi. Elle a sûrement pris les précautions nécessaires.

Nom Anor était sûr que son premier acolyte avait raison. Dans ce cas, les « précautions nécessaires » signifiaient, pour l’espionne, briser la fausse dent placée dans sa bouche et avaler le poison qu’elle contenait. L’irksh tuait instantanément… Cette farouche fanatique s’était sûrement sacrifiée ainsi.

Mais son suicide ne suffirait peut-être pas à éviter un désastre, pensa Nom Anor. L’espionne avait proclamé son allégeance à l’hérésie Jedi avant de mourir. Shimrra serait maintenant averti des tentatives d’infiltration. Ça compliquait tout…

Bien sûr, Nom Anor ne baisserait pas les bras. Peu lui importait le nombre d’acolytes qui mourraient lors de ces tentatives. Les informations sur les activités de son ennemi étaient vitales. Il lui fallait infiltrer un agent entre ces murs, et rapidement. Sinon, il ignorerait tout des mesures prises contre lui, et ça le laisserait trop vulnérable.

— Arriver jusque-là était déjà bien, dit Kunra. At’raoth a fait mieux que les précédents.

— Je crois que j’ai même entendu des voix, ajouta Shoon-mi.

Nom Anor les avait aussi entendues, venant de l’antichambre. Sans aucun doute celles du préfet Drathul, du haut prêtre Jakan et de l’abominable marionnette du seigneur Shimrra, Onimi… Quelqu’un se querellait avec eux, peut-être un guerrier. Si At’raoth avait pu faire quelques pas de plus, pour que Nom Anor entende mieux…

Il jura tout bas. Chaque erreur risquait d’anéantir tous ses efforts. Le mouvement des hérétiques était encore trop faible pour résister à une épuration déterminée.

— Nous renouvellerons notre tentative. Il faut accéder à ces salles.

Son ancien réseau d’informateurs lui manquait cruellement. Jusqu’à sa disgrâce, il n’avait pas mesuré sa chance… Tout ignorer de ce qui se tramait était très préoccupant. Il avait hâte que reviennent ses jours de gloire.

— Si nous ne pouvons pas infiltrer un villip, nous aurons besoin d’un informateur…

— Mais qui ? demanda Shoon-mi. Et comment s’y prendre ?

— Notre confrérie se renforce, dit Kunra. Le Message passe. C’est une simple question de temps…

— Je ne peux pas attendre ! cracha Nom Anor. Plus nous nous rapprochons du sommet, plus ça devient dangereux. Sans savoir ce que Shimrra a appris, nous sommes comme ces victimes sacrificielles qui attendent le coup de coufee !

Depuis peu, il rêvait qu’il était poursuivi par des guerriers invisibles, décidés à l’abattre comme un animal traqué…

Il se morigéna. Ce n’était pas le moment de repenser à des cauchemars !

— Je refuse de mourir ici, dit-il.

— Ça n’arrivera pas, maître, assura Shoon-mi. Pas tant qu’il nous restera un souffle de vie !

— Ça suffit ! cria Nom Anar, irrité, en retournant vers son trône. Je veux un autre volontaire. Nous multiplierons les tentatives jusqu’à ce que nous réussissions ! Nous devons trouver la faille dans la sécurité de Shimrra avant qu’il ne découvre la nôtre ! C’est ça ou mourir !

Shoon-mi recula. Il ignorait tout de l’espionne récemment capturée et éliminée, mais il mesurait parfaitement la gravité de leur situation. Pour Shimrra et les prêtres, ils étaient des hérétiques…

De la rouille…, pensa Nom Anor, réfléchissant à ce qu’il avait observé dans les entrailles de Yuuzhan’tar avant d’endosser son rôle de prophète.

— Ce sera fait, maître.

— Assurez-vous-en, dit-il en les foudroyant du regard. Tous les deux !

Kunra inclina la tête. Inutile de rappeler qu’il existait un nombre limité de volontaires pour ces missions suicide. A chaque échec, il restait de moins en moins de candidats.

Pour être considéré comme noble, le sacrifice devait apporter quelque chose de concret.

Le guerrier aussi mesurait parfaitement la gravité de la situation : tuer ou être tué. Si le mieux que pouvaient faire les Honteux était de choisir leur mort, ce serait toujours davantage que ce que Shimrra leur avait jamais offert.

 

Accroupie derrière une rambarde, sur le toit d’un entrepôt, face à la prison, Jaina évitait les puissants projecteurs qui balayaient le secteur. Elle s’était attendue à des patrouilles, mais le Ryn ne les avait pas prévenus que des sentinelles G-2RD les accompagnaient. Pour une fois, les Bakuriens avaient surmonté leur aversion des droïds…

En voulant franchir la porte indiquée, Jaina avait déclenché une alarme. La prison était en alerte.

Après une demi-heure d’observation, la jeune femme estima peu probable d’entrer sans être repérée. Il lui faudrait trouver un autre moyen…

Sortant de sa cachette, elle traversa le toit de l’entrepôt et descendit l’échelle fixée au mur le plus éloigné de la prison. L’allée où elle prit pied était encombrée de débrisdonc probablement peu fréquentée.

Arrivée au bout, Jaina inspira à fond pour se calmer.

Je ne suis pas un agent secret mais la représentante de dignitaires en visite, et les gens d’ici sont nos alliés…

D’un pas vif, elle avança vers les droïds sentinelles. Une lumière l’éclaira aussitôt, sans qu’elle ralentisse. Une hésitation aurait détruit l’illusion qu’elle tentait de créer.

Deux droïds G-2RD descendirent du mur de ferrobéton qui fermait la prison. Ces sphères flottantes étaient équipées de dispositifs capables d’infliger de l’inconfort – ou pire.

— Halte ! dit un droïd.

Docile, Jaina s’arrêta à trois mètres de l’entrée arrière.

— Indiquez votre nom et la raison de votre présence, ordonna l’autre droïd.

— Je m’appelle Jaina Solo. Je suis venue parler à Malinza Thanas.

Les droïds bourdonnèrent, se livrant à une vérification rapide des autorisations de visite. Après quelques secondes, l’un d’eux avança, sa tige paralysante crépitant.

— Aucun visiteur de ce nom n’a été autorisé.

— Cessez de me menacer, dit Jaina en faisant tournoyer le petit droïd avec la Force. Je n’aime pas ça !

Le second droïd émit un cri perçant que Jaina interrompit net. Elle fouilla dans ses circuits avec la Force et fit fondre sa boîte de vocalisation.

D’autres droïds convergèrent vers la Jedi, qui ne perdit pas son calme.

— Je viens parler à Malinza Thanas. Laissez-moi passer.

Le premier droïd cessa de tourner et prit une voix différente – sans doute celle d’un garde qui observait les événements de l’intérieur de la prison, à travers les capteurs du droïd.

— Désolé, nous ne pouvons laisser entrer personne sans autorisation.

— Alors, je vous suggère de l’obtenir, car je ne repartirai pas d’ici sans avoir vu Malinza. Vous avez une minute !

Le droïd bourdonna, comme impatient d’avoir l’autorisation d’attaquer l’intruse.

Jaina compta jusqu’à soixante.

A la fin du délai, elle entendit des bruits de pas, derrière le droïd.

— Je n’ai pas toute la nuit devant moi ! lança-t-elle en avançant vers la porte indiquée par Ryn. Habitant de la Frange…

La porte s’ouvrit aussitôt. Jaina entra dans un couloir uniformément blanc.

Une nouvelle voix sortit du droïd le plus proche.

— C’est contre tous les règlements ! Qui que vous soyez, j’insiste pour que…

— Je suis Jaina Solo, répéta-t-elle. Décidez-vous : ou vous m’aidez, ou vous m’arrêtez ! Je n’ai pas l’intention de me battre contre vous mais si vous m’y obligez, je…

— Vous ne pouvez pas entrer comme ça et aller voir n’importe quel prisonnier ! Vous avez entendu parler des règlements ?

— Vous avez entendu parler des incidents diplomatiques ? Vous en aurez un sur les bras si je ne peux pas voir Malinza Thanas !

Il y eut une pause.

— Alors ?

— Attendez où vous êtes, répondit la voix désincarnée. Une escorte arrivera bientôt.

Jaina supposa que ses supérieurs avaient ordonné au garde de la laisser entrer.

Quatre Bakuriens se présentèrent, armes dans leurs holsters.

— Suivez-nous, dit l’un d’eux, bourru.

Sentant son malaise, Jaina lui sourit. Il était moins doué qu’elle pour cacher sa nervosité.

— Je ne bougerai pas tant que je ne saurai pas où vous m’emmenez.

— Voir la prisonnière. Comme vous l’avez demandé.

Le sourire de Jaina s’élargit. Sur les mondes frontaliers, stimuler le respect dû aux Jedi ne faisait jamais de mal… Et le respect ne se gagnait pas toujours à la pointe d’un sabre laser.

Elle inclina poliment la tête vers les droïds car le signataire de l’autorisation observait probablement la scène.

— Désolée de ce dérangement. Plus vite je verrai Malinza Thanas, plus tôt vous serez débarrassés de moi.

Attentive à tout signe de traîtrise, Jaina suivit les quatre gardes à l’intérieur de la prison. L’aile de haute sécurité était identique aux autres, n’était la présence de droïds G-2RD à chaque croisement. Ils bourdonnèrent quand elle passa, comme pour la dissuader d’utiliser les mêmes astuces qu’avec leurs collègues, à l’entrée. Elle essaya de mémoriser les tournants, mais ça n’était pas facile. Les couloirs se ressemblaient tous, et les numéros de cellule ne semblaient pas suivre d’ordre logique.

Enfin, 12-17 arriva… La porte était blanche. Un garde saisit un code sur le clavier, puis recula quand la porte s’ouvrit avec un bruit mat.

Une jeune fille d’une quinzaine d’années, les cheveux noirs, était assise sur une couchette. Malgré son uniforme gris de prisonnier et les bleus qui marbraient son visage et ses bras, elle avait l’air arrogant. Mais la fatigue transparaissait derrière son assurance de façade.

— Quoi, maintenant ? demanda la jeune fille.

— Une visiteuse. Quand vous aurez terminé, dit le garde à Jaina, appuyez sur le bouton « appel ».

Il désigna le clavier.

— Un peu tard pour une visite, non ? fit Malinza, soupçonneuse.

— Je m’appelle Jaina Solo.

Elle se demanda quel traitement la prisonnière avait subi.

Malinza étudia Jaina.

— Oncle Luke m’a parlé de vous. Il m’a montré un holo de Jacen et de vous, quand vous étiez petits.

Jaina éprouva une pointe de jalousie inattendue. Oncle Luke ? Qui était cette inconnue pour parler ainsi ?

Puis elle se souvint que Malinza était la filleule de Luke. Sa mère, Gaeriel Captison, l’ancien Premier ministre de Bakura, s’était sacrifiée pour anéantir une bonne partie de la Triade Sacorienne. Et son père, Pter Thanas, avait succombé à la maladie de Knowt, quelques années auparavant. Luke Skywalker était tout ce qui lui restait au monde…

— J’aurais aimé que nous nous rencontrions dans de meilleures circonstances, dit Jaina. Je peux m’asseoir ?

— L’endroit est mal choisi, c’est sûr, répondit Malinza en faisant une place à Jaina.

— Vous voulez bien m’en parler ?

Malinza étudia Jaina avec une maturité étonnante pour son âge. Elle avait un regard perçant que ses yeux vairons rendaient encore plus étrange. Le gauche était vert et le droit… gris.

Comme ceux de sa mère, pensa Jaina.

— Vous savez pourquoi je suis ici, dit enfin Malinza.

— Vous êtes accusée de l’enlèvement du Premier ministre.

— Le chef d’inculpation officiel est : « trouble de l’ordre public, et conspiration ».

— N’est-ce pas la même chose ?

— Non. La différence est de taille.

— Pourquoi ? Maintenant que Cundertol est revenu…

— Je n’ai rien à voir dans son enlèvement, dit Malinza. Mais le reste est vrai.

— Désolée. J’ai du mal à vous imaginer en conspiratrice…

Malinza leva ses bras contusionnés.

— Regardez. S’ils avaient voulu me battre, ils savent ne pas laisser de marques. J’ai récolté ça en résistant à mon arrestation. Il a fallu trois gardes et deux droïds pour me maîtriser.

— Pourquoi vous battez-vous ? demanda Jaina.

— C’est ça qui est bizarre. Il y a une semaine, je ne me battais pas ! Vous n’avez aucune idée de la situation. En ce moment, tout est dingue ici !

— Comment ça, Malinza ?

Jaina se pencha vers la jeune fille pour l’encourager à se confier.

— Que j’envisage de vous le dire, voilà ce qu’il y a de plus dingue ! Après tout, vous êtes l’ennemie !

Jaina fronça les sourcils. Ou la prisonnière s’expliquerait, ou elle se tairait. La pousser dans ses derniers retranchements ne servirait à rien.

— Bref… Je l’ai pourtant claironné sur les toits !

— Et personne ne vous a crue ?

— Pourquoi pensez-vous qu’on m’a enfermée ?

— Moi, je suis prête à vous écouter.

— D’accord. Il y a un mois, j’étais responsable d’une cellule d’activistes. J’utilisais la réputation de mes parents pour faire circuler notre message. Nous étions seize. Au début, nous organisions des débats publics. Depuis, le mouvement a grandi. Nous nous sommes donné le nom de Liberté. C’est banal, mais très éloquent.

— Comment ça ?

— Nous en avons assez de courber l’échine sous le joug des doctrines impériales ! C’est le moment ou jamais de rejeter nos chaînes et de nous gouverner nous-mêmes.

— Les doctrines impériales ? répéta Jaina, n’y comprenant rien.

Voilà près de trente ans que les Impériaux avaient été chassés de Bakura…

— Pas celles de l’Empire, précisa Malinza, mais de l’organisation qui a pris sa place : la Nouvelle République. Nous avions à peine gagné notre liberté quand nous avons tendu les poignets pour être de nouveau enchaînés ! Nous nous sommes livrés à la Nouvelle République comme des animaux domestiques qui quémandent les miettes d’un repas. Et c’est tout ce que nous avons reçu : des miettes !

Jaina se sentit mal à l’aise devant cette description du gouvernement que ses parents avaient contribué à fonder.

— Mais vous ne l’appelez plus la Nouvelle République, n’est-ce pas ? Elle porte un nouveau nom, depuis la guerre contre les Yuuzhan Vong. (Malinza ricana.) Personne ne veut être associé à des perdants, j’imagine ! Votre seul espoir était de changer de peau, si j’ose dire… Mais quel que soit le nom qu’on leur donne, les bouses de cratsch sentiront toujours mauvais ! Si vous battez les Yuuzhan Vong, vous enchaînerez tout le monde, comme par le passé. Et si vous perdez, vous entraînerez la galaxie avec vous.

— Les choses ne sont pas comme ça.

— Non ? Vous allez me dire que faute d’opposer un front uni à l’ennemi, nous mourrons tous… L’ennui, c’est qu’il y a toujours un ennemi commun. Les régimes tyranniques ne fonctionnent pas sans eux. L’Empire avait son Alliance Rebelle. Autrefois, nous avions les Ssi-ruuk, et maintenant, vous avez les Yuuzhan Vong. Qui sera l’ennemi, la prochaine fois que vous sentirez les lézardes s’élargir ?

— Je serai contente d’arriver à la prochaine fois, répondit Jaina. A votre avis, Malinza, que se passera-t-il si nous perdons cette guerre ? Que ferez-vous si les Yuuzhan Vong arrivent chez vous sans que nous puissions vous aider, comme nous l’avons fait avec les Ssi-ruuk ?

— Nous les combattrions, bien entendu. Et nous tomberions tous ! Mais ce serait notre décision, pas celle d’un bureaucrate anonyme assis sur son postérieur à l’autre bout de la galaxie !

— Est-ce réellement la question, Malinza ? Tout se ramène-t-il à qui vous contrôle ? A qui prend la décision pour vous ?

— Bien entendu !

— Je n’ai pas souvenir que la Nouvelle République ait exigé quelque chose de Bakura. On vous a toujours demandé votre avis.

— Et nous avons toujours été d’accord. Je sais. Ça m’irrite plus que tout ! Pendant que nous nous abaissions devant la Nouvelle République, elle a volé notre flotte, nos familles…

Malinza se radossa au mur avec un soupir découragé. Jaina fut soulagée de voir des larmes briller dans les yeux de la jeune fille. Elle avait deviné ce qui nourrissait sa haine pour la Nouvelle République, même si elle le déguisait sous des arguments pseudo-politiques. Derrière son masque de défi, ce n’était qu’une gamine de quinze ans. Qu’elle ait en partie surmonté ce désavantage dénotait sa détermination. Elle avait pris à cœur l’exemple donné par son oncle adoptif.

Jaina n’était guère plus âgée qu’elle quand la guerre contre les Yuuzhan Vong avait éclaté. Les gens étaient capables de sursauts extraordinaires lorsque les circonstances l’exigeaient…

— Désolée pour votre mère, Malinza, dit Jaina en posant une main sur l’épaule de la jeune fille. Je l’ai rencontrée brièvement à Centerpoint, peu avant sa mort. Mais à l’époque, j’étais une gamine. Oncle Luke la tenait en grande estime.

— Je me souviens à peine d’elle, dit Malinza. Je me rappelle son départ… puis ma tante m’expliquant ce qui était arrivé, quand elle n’est pas revenue. Mais j’avais quatre ans à peine, et je n’ai jamais réellement compris. Je savais seulement qui nous l’avait enlevée. La Nouvelle République l’avait entraînée dans une guerre qui ne la concernait en rien, et elle s’est sacrifiée pour sauver d’autres gens. Son abnégation m’a tellement fait souffrir ! L’univers, lui, a retrouvé son équilibre, comme toujours. Mais à cet instant, j’étais du mauvais côté, c’est tout.

— Son équilibre ? répéta Jaina. Que voulez-vous dire ?

— L’équilibre cosmique. La roue du destin, vous savez ? (Malinza se retourna face à Jaina.) Chaque action provoque une réaction. Une force bénéfique ne peut exister sans une force maléfique équivalente. De la même manière, un bon travail amène un mauvais résultat pour quelqu’un. Ainsi fonctionnent l’univers et la Force. Sauver quelqu’un sur Bakura, aujourd’hui, peut signifier la mort de quelqu’un d’autre, plus tard. Voilà pourquoi je ne veux pas de votre Alliance. C’est trop dangereux. Je n’ai aucun désir de voir mon foyer détruit par les tirs des alliés !

— Donc, vous ne voulez pas participer à l’Alliance Galactique, ni à la guerre contre les Yuuzhan Vong. C’est ça ?

— Ne vous méprenez pas, Jaina. Je n’ai rien contre oncle Luke. A part ma tante Laera, qui m’a élevée après la mort de ma mère, il est la seule famille qui me reste. Mon père est mort peu après ma naissance. Je ne l’ai jamais connu. Si je devais prendre le parti de quelqu’un, ce serait le vôtre. Seule la crainte du retour de bâton, à cause de l’Equilibre, me retient.

— Alors, pourquoi avoir enlevé Cundertol ? Il est favorable au traité avec les P’w’ecks. C’est une alternative valable à l’Alliance Galactique, qui vous donnerait une chance de défendre Bakura contre les Yuuzhan Vong.

— Exactement ! Voilà pourquoi enlever Cundertol n’aurait eu aucun sens pour moi.

— Mais vous auriez pu l’ordonner…

— Non, trancha Malinza. Je n’y suis pour rien. Je suis jeune, pas stupide !

— Je ne dis pas que…

— Peut-être, mais vous croyez ce qu’on vous a dit. Et on vous a affirmé que j’étais stupide ! (Elle eut un rire sans joie.) Après tout, vu ce que j’ai tenté, on pourrait facilement en déduire que je suis idiote !

— Vous ne l’êtes pas, Malinza…

— Le but de Liberté est d’expulser la Nouvelle République de Bakura. Nous n’utilisons pas la violence, et nous n’enlevons pas les gens. Traitez-nous d’idéalistes, si vous voulez, mais nous avons des principes. La dernière chose que nous souhaiterions, c’est voir l’ancien régime remplacé par un gouvernement tout aussi mauvais.

Jaina en fut soufflée… Seize idéalistes en lutte contre une civilisation galactique…

Pure folie !

— Comment avez-vous pu espérer réussir ?

— Ah, nous y voilà… (Malinza eut un demi-sourire.) Avec des fonds privés, nous avons sondé les archives à la recherche de preuves de corruption, de brutalité ou de népotisme… Vous seriez étonnée par tout ce que nous avons découvert.

Jaina en doutait. Sa mère lui en avait beaucoup dit sur les politiciens véreux, au fil des ans.

— Qui vous a remis ces fonds ?

— La personne en question considérerait sûrement que ça ne vous regarde pas.

Jaina respecta la loyauté de Malinza, mais elle se doutait que la Brigade de la Paix avait dû être mêlée à tout ça. Une organisation clandestine comme celle de Malinza aurait été le véhicule rêvé de la propagation des dissentiments.

— Vous dites que vous ne pratiquez pas la violence, Malinza, mais qu’en est-il des autres ?

— Aucun des seize membres initiaux de Liberté n’est en faveur de la violence. Ce n’était pas notre genre. Mais…

— Mais ?

— D’autres se sont joints à nous. Et pour certains, la violence était au contraire une priorité. Nous ne les avons pas encouragés à rester.

— Quel genre d’individus s’étaient joints à vous ?

— Des types venus de tous horizons, en fait. Toutes nos actions ne sont pas tenues secrètes. Nous avions une cellule de recrutement, et notre ligne politique était bien connue. On est en démocratie, non ? En tout cas, officiellement… Certains de nos membres s’ennuyaient et cherchaient un dérivatif. D’autres venaient de mouvements secrets similaires au nôtre. Depuis l’arrivée des P’w’ecks, nous avons attiré toutes sortes de mécontents.

— Pourquoi ?

— Pour commencer, mon appartenance à Liberté n’a jamais été un secret, et j’ai une certaine présence dans les médias, parce que ma mère fut autrefois le Premier ministre. Des fanatiques ont toujours voulu se joindre à nous, mais nous n’avons pas eu de mal à les en dissuader.

Jusqu’à récemment… Honnêtement, cet aspect des choses devenait difficile à contrôler. Le mouvement anti-P’w’eck a déclaré que si nous n’étions pas avec lui, nous étions contre lui. Je ne suis pas xénophobe. Les P’w’ecks pourraient être une bonne chose pour Bakura. Au fond, je n’ai pas besoin d’ennemis pour me sentir vivre ! L’Equilibre implique que nous encaissions des coups proportionnés à ceux que nous distribuons. Et je ne veux pas qu’on me frappe de nouveau !

— Je comprends, répondit Jaina.

Elle ne croyait pas forcément tout ce que Malinza déclarait, mais sa conviction était faite : la jeune fille n’était pas du genre à ordonner des enlèvements et des meurtres pour arriver à ses fins.

— Donc, pourquoi pensez-vous être enfermée ici ? demanda Jaina.

— Nous étions trop doués, et nous faisions trop de chemin. Nous avons découvert des trucs infects sur plusieurs sénateurs, et menacé de rendre ces informations publiques.

— Du chantage ?

— Est-ce du chantage, quand on agit pour le bien public ? demanda Malinza. Bref… Ils devenaient tous nerveux, mais ils ne pouvaient pas nous arrêter sans provoquer des remous. Au fond, nous n’avions rien fait de mal. Il leur aurait été difficile de nous incarcérer longtemps, car dès que nous aurions rendu leurs secrets publics, la sympathie de la population serait allée vers nous. Nous étions dans l’impasse. C’était à qui craquerait le premier !

— Et en attendant, vous continuiez à réunir d’autres preuves de corruption, je suppose, dit Jaina. Donc, même s’ils vous savent innocente du rapt de Cundertol, ils veulent vous empêcher de divulguer quelque chose… que vous auriez récemment découvert.

— Dans ce cas, j’ignore quoi ! Nous enquêtions sur une affaire financière postérieure à l’arrivée des P’w’ecks. Une très grosse somme a été transférée loin de la planète, mais nous n’avons pas pu définir sa destination ni son auteur… Qui était derrière cette transaction apparemment commerciale ? La dissimulation de ces éléments nous a paru suspecte. (Malinza redevint soupçonneuse.) Votre Alliance Galactique cherche des fonds, en ce moment ?

— Non. Pas à Bakura, en tout cas. Et cette transaction était peut-être légale.

— Pourtant, me voilà en prison ! Je jure que je ne suis en rien mêlée au rapt de Cundertol ! Mais ça n’arrêtera pas ceux qui sont derrière mon arrestation. Ils ne laissent jamais la vérité se mettre en travers de leur chemin.

— Si vous n’avez pas enlevé le Premier ministre, ils ne pourront pas le prouver !

Malinza éclata de rire.

— En supposant que j’aie droit à un procès équitable ! Mais je suis sûre qu’il existe déjà des « preuves » de ma culpabilité…

La jeune fille ne manquait pas de lucidité, se dit Jaina, se souvenant de la certitude d’Harris sur sa culpabilité.

Cundertol, lui, en avait l’air moins sûr…

— Le témoignage du Premier ministre comptera, répondit Jaina. Et s’il penche en votre faveur, je doute qu’on puisse vous condamner.

— Peut-être…, fit Malinza, découragée. Il faut que je me fie à l’Equilibre. Si aujourd’hui est moche, demain sera meilleur. C’est toujours réconfortant.

C’est une gamine solitaire, pensa Jaina. Mais en quoi sa foi en l’Equilibre serait-elle moins recevable que ma fidélité à la Force… ?

Elle se leva et consulta son chrono. Minuit passé… Ses parents allaient s’inquiéter.

— Je dois partir.

— Pourquoi cette visite ?

— Je fais mon travail, répondit Jaina. Vous connaissez les Jedi : il faut toujours qu’ils se mêlent de tout !

Malinza esquissa un sourire, vite envolé.

— J’avoue que je serais contente de sortir d’ici…

— Je ferai de mon mieux, promit Jaina en posant la main sur le bouton d’appel. Il peut être possible de faire pression pour accélérer votre libération ou…

Elle s’interrompit. La porte s’était ouverte sur un couloir vide.

— Bizarre… Les gardes avaient dit qu’ils m’escorteraient vers la sortie…

Malinza la rejoignit dans le couloir, surprise de n’entendre aucune alarme.

— C’est Vyram ! s’écria-t-elle. J’en suis sûre !

— Qui ?

— Un des membres fondateurs de Liberté… Le cerveau du groupe. Si quelqu’un a pu s’infiltrer dans les ordinateurs de la prison, c’est lui !

— Je ne sais pas, Malinza… Ça semble trop facile…

— Vous avez beau jeu de dire ça ! Vous sortirez d’ici, quoi qu’il arrive ! (Malinza se redressa de toute sa taille.) Je tente le coup !

Jaina la retint par un bras.

— Attendez ! Laissez-moi au moins vous guider.

Jaina avait l’impression qu’elle se pliait trop à la volonté du mystérieux responsable de cette panne de surveillance… Mais avait-elle le choix ?

— Je croyais que vous ne me le proposeriez jamais, répondit Malinza, taquine.

 

Epuisée, tous les muscles endoloris, Tahiri progressait péniblement dans le canyon. Il lui semblait qu’elle courait depuis des années… Elle marqua une pause, le nez en l’air, et vit des étoiles scintiller.

Non, ce n’étaient pas des étoiles !

Un hurlement soudain lui rappela que ses poursuivants la talonnaient. Dans la plaine qui s’étendait devant elle, l’obscurité régnait. Il n’y avait pas trace du monstre qui avait pris ses traits, ni du reptile, mais ils étaient là, quelque part, elle le savait…

Si elle s’arrêtait de courir, ils la rattraperaient, et…

Etouffant son angoisse, elle continua à chercher une étincelle de lumière… Des silhouettes d’arbres se dessinèrent peu à peu dans l’obscurité. Un instant, la fugitive se sentit protégée par l’enchevêtrement végétal. Mais ses poursuivants n’avaient pas besoin de la voir : ils la traquaient à l’odeur !

Le hurlement de la créature-serpent fit frémir les frondaisons.

Elle accéléra le pas, sursautant chaque fois qu’une feuille au bord coupant lui entaillait les bras ou les mains.

La forêt venait buter contre une paroi rocheuse. Affolée, la fugitive vit, sur sa droite, une petite faille dans la paroi.

— Tahiri…

Le murmure du vent ?

La jeune fille se glissa dans la faille. Les paupières baissées, elle se força au calme. Il valait mieux se glisser entre ces murs étroits qu’affronter les chasseurs.

La fente s’élargit. Tahiri passa de l’autre côté, saine et sauve. Rouvrant les yeux, elle fut découragée par ce qu’elle découvrit : un étroit chemin bordé d’arbres bruissant d’ysalamiris…

Emergeant de la faille, la jeune Jedi resta immobile un long moment, terrifiée. La perspective de longer ces arbres l’épouvantait moins que ce qu’elle apercevait au loin : la forme reptilienne, se découpant contre le ciel…

— Tahiri…

Avec un cri d’effroi, elle se tourna et vit, dans la crevasse, le monstre qui avait pris son apparence… Il tendit les bras vers elle. Ses doigts ensanglantés tentèrent de la toucher.

— Tu ne peux pas me laisser ici, Tahiri…

 

Etouffant un cri, Tahiri se réveilla en sursaut. Sa main serrait son sabre laser quand elle se souvint… Elle était sur Bakura.

La Jedi soupira de soulagement. Elle n’était pas sur le vaisseau-monde orbitant autour de Myrkr mais en sécurité.

En sécurité ? Réellement ?

Elle tâtonna dans l’obscurité, et se détendit lorsque le panneau lumineux s’éclaira. Le lit bougea quand elle se leva. Presque tout, sur Bakura, flottait sur des répulseurs : les chaises, les comptoirs à nourriture…

Pour le moment, ce n’était pas ça qui la troublait, mais l’impression que la « famille » qui l’entourait sur Mon Calamari – Jacen lui affirmait qu’elle en faisait partie –, conspirait contre elle.

Avant de partir voir Malinza, Jaina s’était entretenue avec sa mère. En sortant de la chambre de sa fille, Leia avait jeté à Tahiri un regard distant. Comme si elle voyait en elle quelque chose de troublant…

… Et Tahiri en était troublée. Ce sentiment tenace ne la quittait pas.

Elle ouvrit la porte, se glissant dans le couloir. Sa chambre et celle de Jaina étaient à un bout du couloir – adjacentes mais pas communicantes. La suite de Yan et de Leia était à l’autre bout, et comportait une pièce servant de salle commune.

Tahiri s’arrêta devant la porte de Jaina. L’oreille pressée contre le battant, elle écouta. Il n’y avait aucun bruit. Jaina ne devait pas être revenue de mission, alors qu’il était minuit passé… Elle repoussa une vague inquiétude. Après tout, Jaina aussi la soupçonnait, l’observant sans cesse pour…

Que cherchait donc tant Jaina ? A déterminer qui était vraiment Tahiri ?

La jeune femme sursauta.

Non ! Vous ne pouvez pas faire de moi ce que je ne suis pas !

Après cet éclair de lucidité, un brouillard enveloppa son esprit.

Il fallait que ça cesse. Elle ignorait combien de temps elle tiendrait encore…

Elle gagna la porte de Yan et de Leia, y pressant aussi l’oreille. Là non plus, elle n’entendit rien.

Elle saisit le code d’accès et entra, étonnée que les gardes du corps noghris de Leia ne l’interceptent pas. Mais elle n’avait pas le temps de s’appesantir sur la question.

Les photorécepteurs de C3PO se tournèrent vers l’intruse.

— Chut, C3PO ! murmura-t-elle. J’ai juste un truc à prendre dans l’autre pièce.

— Comme vous voudrez, maîtresse Tahiri, répondit le droïd de sa voix normale. Mais ne devriez-vous pas…

— Doucement, chuchota Tahiri. Je n’en aurai pas pour longtemps.

Guère convaincu, C3PO se tut. La jeune femme pénétra dans la chambre de Yan et de Leia et les regarda dormir.

Une force incompréhensible l’attirait vers eux…

Je dois détruire la preuve. Et le problème disparaîtra.

Se guidant dans l’obscurité grâce à la Force, elle arriva devant une tablette supportant un bouquet de fleurs, un verre d’eau, et… quelque chose qu’elle ne détectait pas dans la Force : un pendentif brillant sous un rayon de lune.

Comme sur Galantos, l’objet fit naître en elle une étrange résonance.

Elle ramassa le totem d’argent à l’effigie de Yun-Yammka, le Tueur. A cet instant, une main lui saisit le poignet, et une voix prononça son nom dans un langage qui la dégoûtait.

Puis l’obscurité l’engloutit.

 

— Nous y voilà, dit la bibliothécaire, une femme menue aux cheveux courts, appelée Tris.

Elle avait guidé les visiteurs dans une installation isolée de haute sécurité, enterrée sous la glace.

Soontir Fel les avait conduits sur place dans une grande barge à glace, un véhicule blindé capable d’accueillir cinquante passagers. Ce jour-là, seuls Luke, son entourage, Irolia, le chef navigateur Peita Aabe et Fel y avaient embarqué.

A leur arrivée, on leur avait présenté leur guide, une femme de la famille Inrokini. Un turboascenseur les avait entraînés au cœur de l’installation, pendant que Fel et les autres repartaient.

— Nous y sommes enfin ? demanda Jacen.

Aussi fatigué que ses compagnons par ce long voyage, il avait hâte de commencer les recherches.

— Soyez les bienvenus dans la Bibliothèque de la Flotte. Vous faites partie des rares non-chiss à y être admis.

Les voyageurs entrèrent respectueusement. La salle remplie de hautes bibliothèques était aussi grande qu’un hangar d’atterrissage. Quatre niveaux de passerelles couraient le long des murs et des lampes jaunes pendaient au plafond. Ici, l’air tiède sentait bon.

— Superbe, approuva Mara. Au moins, nous aurons de la place. Si vous nous montrez les holoécrans, nous commencerons sans tarder.

Tris fronça les sourcils.

— Il n’y a pas d’holoécrans.

— Comment visualiserons-nous les données ?

— Suivez-moi.

La bibliothécaire les guida entre deux rangées d’étagères pleines de briques – probablement des dispositifs sophistiqués de stockage des données, supposa Jacen. Il fallait peut-être les mettre dans un lecteur pour afficher leur contenu…

Tris prit une brique.

— Voilà les notes d’exploration sur le monde que vous avez visité en dernier, Munlali Mafir, traduites en basique pour les archives permanentes. Ici, tout est soigneusement catalogué. Comprendre notre système vous prendra peut-être un moment, mais je suis là pour vous aider.

Elle tendit la « brique » à Mara qui, perplexe, la passa à Jacen. Il n’y avait pas de port de branchement visible. L’avant et l’arrière étaient faits du même matériau qu’un des côtés, rouge foncé, avec des inscriptions en basique. Les trois autres côtés étaient bizarres, à la fois souples et résistants.

Voyant son étonnement, Tris prit la brique et l’ouvrit. Le dessus se replia comme le couvercle d’une boîte, mais l’intérieur était plein de textes !

Alors, Jacen comprit. Il se sentit idiot de ne pas avoir saisi plus tôt. Danni poussa un petit cri de surprise.

L’objet n’était pas une brique mais un livre !

— C’est une blague ! s’exclama Mara.

Tris eut l’air étonnée.

— Les Chiss ont toujours conservé les informations de cette manière sûre et permanente. Nous avons perdu trop de données dans les tempêtes de glace pour nous en remettre à des moyens de stockage plus compliqués.

— Mais comment allons-nous trouver ? demanda Danni. On ne peut pas faire de recherches par mot-clé dans… ces trucs !

— Il y a des méthodes, et je suis là pour vous aider.

Tris paraissait sûre d’elle, mais Jacen frémit à l’idée de feuilleter des millions de pages ! La bibliothèque fourmillait de rapports d’expédition, et l’exploration des Régions Inconnues durait depuis des siècles !

Bon, ça doit être faisable… Si je sais piloter une aile X les yeux fermés, je devrais pouvoir parcourir quelques livres, s’encouragea Jacen.

Saba sembla avoir la même idée.

— Nous cherchons des références relatives à Zonama Sekot, dit-elle. Veuillez nous y aider.

— Bien entendu. Venez avec moi !

Luke échangea un regard avec Mara et Jacen, puis il suivit Tris.

 

Le puits faisait trente mètres de profondeur et près d’un kilomètre de circonférence. D’immenses colonnes se dressaient vers le ciel, comme tendues vers la planète suspendue au-dessus… Au sol gisaient des vaisseaux à différents stades de détérioration.

Un ancien spatioport, à la fois familier et étranger… Elle aurait voulu grimper à bord d’un vaisseau et rejoindre la planète, où elle serait en sécurité. Mais ils étaient trop vieux pour ça. Ici, tout était à l’abandon. Le spatioport, la planète…

… Elle-même…

Pivotant soudain, elle fit face à son sosie. Pourtant, ce n’était pas vraiment elle. Cette copie presque conforme avait des cicatrices sur le front – elle non. Elle en avait seulement aux bras. Celles de son reflet semblaient avoir été délibérément incisées dans la chair. Les siennes ? Elles venaient de ses propres ongles, tant elle avait l’impression de sentir quelque chose ramper sous sa peau…

— Il ne te reste nulle part où fuir, dit son reflet.

Au loin, le reptile hurla.

— Pour toi non plus !

Elle lut de la peur, dans les yeux de son reflet.

— Pourquoi me veux-tu du mal ?

— Parce que tu m’en veux !

— Je désire qu’on me laisse tranquille ! Je rêve d’être libre !

— Moi aussi.

— Mais ici, c’est chez moi !

— C’est également chez moi.

Le hurlement de la créature retentit, plus proche.

— Il sent notre odeur, ajouta le reflet. Il capte ma peur, et ta culpabilité.

— Je ne suis coupable de rien.

— C’est vrai. Pourtant, il est là.

Elle regarda en elle-même, et affronta la culpabilité dont parlait son reflet. Un sentiment qu’elle s’était toujours caché…

Pourquoi suis-je en vie, alors que celui que j’aimais est mort ?

Un rugissement de colère et de remords jaillit de la gorge du reptile géant, dont les échos résonnèrent dans son esprit, avant de mourir en un murmure lointain…

Tahiri… Tahiri…

 

— Tahiri ?

La main qui lui secouait l’épaule dissipa le rêve. Elle rouvrit les yeux, désorientée.

— Allons, petite, reviens à toi.

La voix rauque, Yan avait l’air inquiet. La jeune Jedi le regarda, les pupilles noyées de larmes.

Leia s’interposa, souriant à Tahiri.

— Tu vas bien ?

— Je suis réveillée…, marmonna la jeune femme. Je crois que ça va.

Elle se sentait bizarre et la lumière crue l’éblouissait. Sa confusion augmenta quand elle se découvrit allongée sur le lit de Yan et de Leia…

— Qu’est-il arrivé ?

Mais elle le savait : la même chose qu’à Galantos. Et qu’ailleurs.

— Tu ne te souviens pas ? demanda Leia.

Les parents d’Anakin étaient en vêtements de nuit.

— Je… (Tahiri hésita. Comment avouer une vérité qui se dérobait sans cesse ?) Je cherchais quelque chose…

Leia lui montra le pendentif. Le visage hérissé de tentacules de la figurine sembla se moquer d’elle.

— Cet objet, n’est-ce pas ?

— Oui. Il m’appelle…, avoua Tahiri, embarrassée. Il me rappelle…

— … Qui tu es ? suggéra Leia.

— Je sais qui je suis ! Tahiri Veila !

La princesse s’accroupit à côté d’elle.

— Vraiment ? fit-elle à voix basse. Tu ne ressembles pas à la Tahiri que je connais.

— Que veux-tu dire, Leia ? demanda Yan, exaspéré.

— Nous oublions parfois ce qui lui est arrivé sur Yavin 4, Yan. Les Yuuzhan Vong lui ont infligé de terribles épreuves pendant sa captivité, et nous avons du mal à le comprendre. Ils ont tenté de faire d’elle autre chose qu’un être humain. On ne se remet pas si facilement d’une telle expérience. Ça prend du temps.

— On l’a déclarée guérie. N’est-ce pas pour ça qu’on l’a invitée à se joindre à cette mission ?

Ils continuèrent, mais Tahiri n’écoutait plus. La méfiance de Yan la blessait. D’ailleurs, la façon dont les parents d’Anakin parlaient d’elle à la troisième personne l’emplissait de chagrin.

— Je ne dormais pas, dit Leia. Jaina m’a parlé de la trouvaille de Jag sur Galantos, et j’attendais que Tahiri vienne la chercher. Voilà pourquoi j’ai ordonné à Cakhmain et à Meewahl de rester hors de vue : pour que Tahiri vienne prendre ce pendentif.

Dans un coin de la chambre, Tahiri aperçut les gardes noghris.

— J’aurais préféré que tu me tiennes au courant, soupira Yan.

— Ce n’était pas nécessaire. Je voulais voir ce qui arriverait.

— Quelle est la cause de son comportement ? demanda Yan. Anakin ?

— C’est plus que ça. Elle cache quelque chose – à elle-même comme aux autres.

L’accusation fit l’effet d’un coup de poignard à Tahiri.

— Comment pouvez-vous dire ça ? cria-t-elle.

Cakhmain la ceintura. Elle se tortilla en vain, ne pouvant se libérer des bras du Noghri.

— Je ne vous ferai jamais de mal ! Vous êtes… ma famille !

Yan lui prit les mains.

— Du calme, petite. Personne ne t’accuse de quoi que ce soit, Tahiri. Détends-toi, d’accord ?

Elle obéit, calmée par la voix amicale. Sur un signe de la princesse, Cakhmain lâcha la jeune femme et recula.

— Désolée, dit Leia. Je ne voulais pas te perturber.

Perdue, Tahiri se contenta d’un hochement de tête.

— Dis-moi, as-tu idée de ce qui se passe dans ta tête, depuis deux ans ?

— Par moments, je… perds conscience, balbutia Tahiri. J’ai ces rêves bizarres…

— … Qui te soufflent que tu es quelqu’un d’autre ?

— Je m’appelle Tahiri Veila ! Je sais qui je suis ! répéta la jeune femme, sur la défensive.

Leia la prit par les épaules.

— Je sais que ce n’est pas facile, Tahiri. Mais essaie de comprendre. Rappelle-toi, avant que tu perdes conscience… Te souviens-tu de ce que je t’ai dit ?

Tahiri réfléchit.

— Vous m’avez appelée par mon nom.

Leia regarda Yan.

— Quoi ? Vous l’avez fait ! J’ai entendu !

— Je ne t’ai pas appelée par ton nom mais « Riina », dit Leia.

Tahiri sentit un frisson glacé la parcourir. Une obscurité terrible menaça de l’engloutir.

— Non… Ce n’est pas vrai !

— Si, Tahiri. Avant de t’évanouir, tu criais en yuuzhan vong. Même C3PO n’a pas compris ce que tu disais ! Tu n’étais plus Tahiri, mais Riina du domaine Kwaad, la Yuuzhan Vong que Mezhan Kwaad voulait faire de toi… Cette personnalité est toujours en toi.

— Non, gémit Tahiri. Impossible !

— Hélas, si. Crois-moi. Plus vite tu l’accepteras, plus tôt tu pourras…

— Non ! hurla Tahiri.

Rapide comme l’éclair, se servant de la Force, elle arracha le pendentif à Leia et se précipita dans le couloir. Cakhmain n’eut pas le temps de l’intercepter. C3PO se dressait devant la porte, mais elle lui flanqua une bourrade qui l’expédia contre le mur. Puis elle courut comme si sa vie en dépendait.

Elle courut sans rien voir ni sentir, excepté le pendentif de Yun-Yammka dans sa main, souriant de satisfaction.

Par-dessus ses sanglots, elle entendit un nom. Le sien ?

En larmes, elle courut à perdre haleine…

 

Sur la fréquence sécurisée, Jag écouta attentivement le récit de Yan et de Leia – l’incident du pendentif. Leur réveil intempestif en pleine nuit les avait visiblement épuisés.

— Elle n’a fait de mal à personne ? demanda Jag.

— Non. Nous nous inquiétons d’abord pour elle, répondit Leia.

— Où est-elle ?

— En fuite.

— Et nous n’avons pas de nouvelles, depuis, ajouta Yan. La pauvre petite était bouleversée.

— Avez-vous prévenu la sécurité ? demanda Jag.

— Pour dire quoi ? fit Yan. Qu’une Jedi s’est enfuie, peut-être contrôlée par l’esprit d’une Yuuzhan Vong ? Ça plairait beaucoup aux autorités !

— Nous serions tous enfermés à double tour…, renchérit Leia. Pas question. Mais il faut retrouver Tahiri au plus vite. Elle a désespérément besoin d’aide. Et tout de suite !

— Je croyais qu’elle avait surmonté les problèmes liés à son expérience sur Yavin 4…, dit Jag.

— Nous aussi, soupira Leia. Mais son conditionnement était profond. Elle pouvait parler le yuuzhan vong et piloter leurs vaisseaux… Anakin nous avait dit qu’à certains moments, il la trouvait bizarre. Mais elle paraissait s’en être sortie…

— Puis Anakin est mort, dit Yan, la voix rauque. Pour elle, tout a dû basculer… Si cette « Riina » continue de la torturer, nous devons agir !

Jag se doutait qu’à ce stade, rien ne serait facile. Affolée, Tahiri pouvait avoir fui n’importe où. Ne contrôlant plus sa personnalité yuuzhan vong, elle se considérerait peut-être comme une menace pour ses amis, décidant noblement de rester loin d’eux pour les protéger…

— Jag, Jaina et toi avez soupçonné qu’il y avait un problème… Et vous ne nous avez rien dit !

Jag déglutit. Il aurait préféré que Jaina ait à répondre à cette remarque !

Leia avait raison d’en être mécontente. Quand il avait montré à Jaina le pendentif découvert par Tahiri sur Galantos, ils avaient débattu de ce qu’ils devraient faire au sujet de la jeune femme… A l’évidence, sa personnalité yuuzhan vong tentait de reprendre le dessus. Mais Tahiri était une Jedi. Ils avaient donc jugé préférable de lui laisser la possibilité de résoudre le problème seule, tout en gardant un œil sur elle.

— Je suis désolé, répondit Jag. Je n’avais pas pensé que…

— Pourtant, c’est arrivé, coupa Yan. Si Leia ne s’était douté de rien, ça aurait pu très mal tourner !

— Je suis vraiment désolé, répéta Jag. Où est Jaina ? Elle devait surveiller Tahiri pendant votre séjour sur Bakura.

— Elle n’est pas encore revenue de son entretien avec Malinza Thanas, répondit Leia.

— Pas encore ? Elle devrait être là depuis un bon moment ! s’écria Jag.

Yan et Leia lui avaient exposé la mission de Jaina dès qu’ils l’avaient eu en ligne.

— Nous le savons, fit Yan.

Jag serra les poings. Il regrettait de ne pas être à la surface, où il aurait pu agir.

— Si je demandais à Mayn d’envoyer une navette avec des renforts et de… ?

— Non, l’interrompit Leia. J’ai confiance en Jaina. Si elle a besoin d’aide, elle nous appellera. Je suis sûre que…

Une alarme retentit.

— Un instant, dit Jag. J’ai un appel. (Il passa sur une autre fréquence.) J’écoute…

— Colonel Fel, des contacts émergent de l’hyperespace, dans le secteur onze.

C’était Selwin Markota, l’officier en second du Sélonia.

Jag se força à chasser temporairement Jaina et Tahiri de ses préoccupations. Son devoir de chef d’escadron passait avant tout.

— Combien ?

— Trente, et d’autres sont en chemin. Au moins deux grands vaisseaux. On dirait une flotte.

— Ont-ils contacté Bakura ?

— Nous les appelons en ce moment. Je vous branche sur la fréquence de la Flotte de Défense.

— Bien reçu. (Jag revint sur la fréquence sécurisée.) Yan, Leia, je suis désolé, mais je dois vous laisser.

— Nous avons aussi reçu l’appel, dit Leia. Nous vous préviendrons s’il y a des changements.

— Vols A et B, reprit Jag sur la fréquence de Soleils Jumeaux, restez ici et occupez-vous du grand vaisseau. C, avec moi !

Il se détacha de la formation, suivi par deux ailes X et une griffe. Sur son écran, il y avait maintenant quarante vaisseaux, et d’autres continuaient d’arriver.

— Ici la Flotte Bakurienne, dit le contrôleur du trafic. Veuillez vous identifier et annoncer vos intentions.

La réponse arriva sous la forme d’une série de sifflements dissonants.

Jag en savait assez pour reconnaître ce langage. La flotte venait de Lwhekk, mais qui la commandait ? Les Ssi-ruuk, ou les P’w’ecks ?

La voix de C3PO sortit de l’unité com.

— Le message dit : « Peuple de Bakura, je viens en paix consacrer ce monde et nouer une alliance entre nos deux cultures. »

Une autre voix se fit entendre. Jag reconnut celle du Premier ministre Cundertol.

— Nous souhaitons la bienvenue au Keeramak, avec l’espoir que notre amitié nous apportera à tous la prospérité et l’édification.

Jag leva les yeux au ciel.

— Entourage du Keeramak, veuillez adopter les orbites suivantes, demanda le contrôleur du trafic, qui énuméra les instructions requises.

— Compris, traduisit C3PO.

Se plaçant sur une trajectoire d’interception, Jag examina les vaisseaux étrangers d’un œil critique. A plusieurs reprises, les Chiss avaient combattu les Ssi-ruuk, contribuant à faire reculer l’Imperium. Mais Jag n’avait jamais rencontré de vaisseaux ssi-ruuvi, à part en simulation. Les droïds de combat ? De simples pyramides dont les coins abritaient les détecteurs et les armes… Les vaisseaux plus grands avaient un aspect organique étrangement lisse.

Jag repéra deux transporteurs d’assaut de classe Sh’ner, et de nombreux vaisseaux de classe Fw’Sen. Les transporteurs d’assaut avaient un équipage de cinq cents P’w’ecks, et de trois cents droïds technitionnés – s’ils étaient toujours utilisés. Ils faisaient près de sept cent cinquante mètres de long. En tout, vu leur structure, ils avaient un volume supérieur à celui d’un destroyer de classe Victoire.

Ça faisait beaucoup de vaisseaux pour accompagner une mission diplomatique… Mais Jag supposa que les P’w’ecks étaient aussi inquiets que les Bakuriens. Ayant récemment gagné leur liberté, ils n’avaient pas envie d’envoyer leur chef dans une situation difficile sans un soutien conséquent.

Mais ils ne craignaient pas de partager leurs données de bataille ! Sur l’écran, Jag vit apparaître des noms près de chaque vaisseau majeur des P’w’ecks. Le croiseur central s’appelait le Firrinree, et celui qui le suivait l'Errinug’ka.

La formation se divisa en trois, sur les orbites désignées. La manœuvre, vive et efficace, fut un bon point pour la flotte des P’w’ecks. Ils avaient été bien formés au pilotage des vaisseaux de guerre par leurs anciens maîtres ssi-ruuvi !

Jag resta avec le gros de la flotte jusqu’au décollage des sept vaisseaux de classe D’kee. Le Keeramak était en route.

Jag espérait que Bakura serait prête à le recevoir.

L'HéŽréŽtique de la Force T2 - Les Réfugiés
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